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chaque chapitre pourrait le plus souvent être transpose à volonté, même d’un livre à un autre. Cela ne détruit nullement l’éminent mérite de cet incomparable poème sur la nature humaine, où l’incohérence est surtout due aux croyances dominantes. Jusqu’à ce qu’il surgisse une autre suite de chants propres à diriger l’intime culture du cœur, cet informe chef-d’œuvre conservera toujours un prix infini, non seulement comme haute satisfaction esthétique, mais surtout pour l’amélioration morale.


Comte partage ses disciples, selon leurs facultés spéciales et leur degré de culture, en deux classes. La première est la classe spéculative, celle des penseurs, des savans et des artistes ; leur fonction est l’exposition de la doctrine. La seconde, celle des industriels, des commerçans et des agriculteurs, a pour sphère la vie pratique. Blignières, ayant obtenu un congé pour prendre les eaux de Vichy, rencontra, dans les environs de la ville, un fermier, Auguste Hadery, qui avait essayé de réaliser le type du patriarcat agricole selon la formule positiviste, « prélevant sur son revenu, avec une sage économie, ce qui était nécessaire à son entretien personnel, et employant le reste à améliorer le sort de ses agens et à perfectionner ses instrumens. » Hadery logea Blignières dans sa maison. « La maison est petite, écrit celui-ci, mais, comme dit le proverbe anglais, quand il y a place au cœur, il y a place dans la maison. » Il annonce qu’il restera là six semaines, occupant ses loisirs à des études sociologiques. Comte lui répond, le 27 Dante 63 (11 août 1851) :


Votre lettre de mercredi, quoiqu’un peu tardive, m’a tellement satisfait hier, que j’y aurais immédiatement répondu, si ce n’eût pas été le jour de ma séance hebdomadaire. A mesure que je vois se développer spontanément votre nature cérébrale trop comprimée jusqu’ici, j’apprécie davantage vos belles qualités de cœur, d’esprit et de caractère. Leur ensemble, très caractérisé, quoique implicitement, dans cette dernière lettre, soutient de plus en plus les espérances que j’ai d’abord conçues sur vous, et même commence à les élever au-dessus de leur sphère initiale. Tout ce qui me reste à désirer immédiatement pour votre intime essor, c’est une suffisante organisation et une pratique convenable du culte secret que vous devez à votre angélique sœur, plus une culture normale et assidue de vos goûts esthétiques, surtout poétiques, et même musicaux. Les autres parties de votre perfectionnement moral et mental me semblent déjà pouvoir être heureusement livrées au cours spontané de votre propre sagesse.

Je suis charmé que vous ayez réalisé votre excellent projet de cohabitation intime, quoique temporaire, avec M. Hadery. Cet heureux contact ne peut qu’être fort profitable à deux hommes distingués, presque du même âge, parfaitement dignes de s’apprécier mutuellement et dévoués à la même