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du bien. Cette belle allégorie contient le germe anticipé de notre théorie positive sur l’institution de la vie subjective. Loin de reproduire vos tristes impressions d’enfance et d’adolescence, ce culte d’une digne sœur vous rendra moins amers les souvenirs de ceux dont vous avez à vous plaindre. Je puis vous en parler par expérience, au sujet de la famille qui méconnut mon immortelle amie. Si j’insiste à cet égard, c’est afin de dissiper entièrement votre fâcheuse hésitation sur une pratique très précieuse pour votre perfectionnement et votre bonheur. En y joignant une meilleure appréciation des femmes, et, par suite, des rapports plus complets et plus suivis avec elles, vous achèverez de réparer les lacunes essentielles de votre culture morale, dont votre essor intellectuel dépend beaucoup plus que vous ne pouvez le croire maintenant.

Envers celui-ci, vous tirerez un grand secours du volume inédit qui, malgré tous mes efforts et mes sacrifices, reste exilé depuis plus d’un an[1]. Car il contient une coordination sommaire de toute la philosophie naturelle, spécialement développée envers la biologie, qui dirigerait utilement vos études actuelles. Vous y trouverez surtout la constitution directe de la vraie logique positive d’après l’harmonie finale entre la méthode objective, qui seule fournit des matériaux solides, et la méthode subjective, qui seule dirige les constructions durables. Dans la tendance actuelle que vous me signalez à marcher alternativement du monde vers l’homme et de l’homme vers le monde, je vois l’aveu spontané du besoin fondamental de combiner ces deux méthodes également indispensables. Si la préparation du positivisme dépendit surtout de la première, la seconde doit désormais prévaloir pour le consolider et le développer, en l’appliquant aux questions principales, où l’ordre d’importance prévaudra maintenant sur l’ordre de dépendance.

Cette appréciation est très propre à lier intimement la partie morale et la partie mentale de votre culture actuelle. En effet, c’est le cœur qui doit surtout dominer la discipline subjective, comme ouvrant seul l’accès immédiat aux plus hautes spéculations. Vous sentirez bientôt cette éminente propriété, si vous fréquentez dignement le sexe aimant, toujours préoccupé directement des lois morales, tandis que le sexe agissant s’arrête trop aux lois physiques. C’est aussi pour cela surtout que je regrette votre suspension actuelle des lectures poétiques. Un vrai positiviste ne devrait pas laisser passer une seule journée sans y consacrer au moins le temps qu’exige un chant de Dante. Toutefois, en espérant que vous y reviendrez bientôt, je me félicite que vous commenciez à goûter l’Imitation, où je vous engage à joindre, comme moi, Corneille à Kempis. Mais vous feriez bien de lire d’abord l’ensemble du poème avant de revenir sur chaque livre. En effet, le principal défaut de cette admirable production consiste dans le défaut total de plan. Le quatrième livre a seul une véritable unité, et encore l’ordre des chapitres pourrait-il être interverti sans inconvénient. Partout ailleurs,

  1. Il s’agit du tome premier du Système de politique positive. Le Discours préliminaire sur l’ensemble du positivisme datait de 1848, et l’Introduction fondamentale avait été terminée en 1850. Le volume ne put paraître qu’en juillet 1851, quand Joseph Lonchampt eut couvert les frais d’impression.