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général, et pour la personne du fondateur, ce sera, dit-il, l’objet de sa vie entière.

Comte répond qu’il a reçu dans le courant de l’année beaucoup d’adhésions semblables, venant surtout de jeunes gens qu’il est fier d’être le chef spirituel d’une si noble élite, et qu’il ne conserve plus aucune inquiétude sur le prochain avenir d’une doctrine qui détermine de telles convictions et inspire de tels dévouemens. Ensuite il conseille à Célestin de compléter son noviciat par la « culture esthétique. »


Apprenez l’italien en lisant Dante, Arioste et Manzoni, puis l’espagnol en lisant de même Calderon et Cervantes : laissez dormir vos langues du Nord pendant quelques années. Mais habituez-vous surtout à ne jamais lire que des chefs-d’œuvre, que vous vous rendrez familiers par un recours périodique : si vous lisiez des médiocrités, votre initiation esthétique avorterait. Comme transition aux lectures morales, je vous recommande la pratique journalière de l’Imitation, dans l’original et dans Corneille. Voyez-y un admirable poème sur la nature humaine, et lisez-le en vous proposant de remplacer Dieu par l’Humanité. Cela deviendra une source féconde de nobles jouissances et d’intimes améliorations. Vous sentirez aussi combien est moralement dangereuse l’étude scientifique, quand on n’y voit pas un simple moyen et qu’on veut l’ériger en but. Les émancipés sont maintenant assujettis à parvenir à l’amour par la foi réelle, c’est-à-dire démontrée ou démontrable. Mais soyez certain que votre noviciat philosophique ne sera pas conduit jusqu’à son vrai terme normal s’il ne vous amène point à l’amour. Pendant ce trajet, la digne fréquentation du sexe, affectif vous aidera beaucoup à atteindre le but raisonnable et saint de toute cette longue initiation, l’incorporation morale et mentale à l’Humanité. Je ne saurais mieux terminer que par ce double conseil, sur lequel je reviendrai si vous m’y donnez lieu. Salut et Fraternité.


Aux yeux de Comte, le couronnement de son œuvre devait être la fondation d’une religion nouvelle, dépôt sacré et désormais intangible de toutes les conquêtes de l’esprit humain pendant les âges précédens. L’état théologique, qui explique les phénomènes de la nature par l’intervention d’êtres surnaturels, l’état métaphysique, qui ramène ces phémonènes à des concepts abstraits et à des entités fictives, étaient considérés comme révolus et relégués dans le passé. L’état scientifique, qui se borne à observer et à classer, durait encore ; mais il n’était qu’un intermédiaire, un moyen pour arriver à une synthèse définitive, pouvant servir de base à la réorganisation sociale. Les trois états distingués par Comte répondaient, selon lui, aux trois âges de l’homme, l’enfance, la jeunesse et l’âge viril ; l’homme devait