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qui devait en avoir lieu au Sénat était attendue avec anxiété. Elle a dépassé en ampleur et en éclat tout ce qu’on en attendait ; elle a fait certainement le plus grand honneur à la haute assemblée ; le pays, s’il l’a écoutée et comprise, n’a pas pu manquer d’en être troublé. La Commission et le Gouvernement ont été d’une faiblesse extrême dans la défense de leur thèse : l’opposition, au contraire, a montré une force de logique et un talent qui n’avaient jamais été plus grands. Malgré tout cela, une majorité de 25 voix environ a réduit les périodes, la première à 23 jours, et la seconde à 11. Les orateurs de la minorité ne se faisaient à coup sûr aucune illusion sur le sort qui les attendait ; ils savaient bien qu’ils défendaient une cause impopulaire, et que, dès lors, ils n’auraient pu la faire triompher que si le gouvernement leur avait apporté son concours. Mais ils remplissaient un devoir, et si, demain, leurs craintes, nous allions dire leurs prophéties, se réalisent, ils auront du moins soulagé leurs consciences et dégagé leurs responsabilités.

Tous les orateurs qui ont pris la parole mériteraient que nous donnions ici le résumé de leurs discours : les bornes d’une chronique ne nous permettent malheureusement pas de le faire. La droite a été représentée par MM. de Goulaine et de Lamarzelle ; les différentes fractions du parti républicain l’ont été par MM. Waddington, Mézières, le général Langlois, de Freycinet. M. Boudenoot a parlé au nom de la commission, M. le ministre de la Guerre et M. le président du Conseil l’ont fait au nom du gouvernement. On voit, au nombre même et à la compétence des orateurs, que le débat a été ce qu’il devait être, s’il n’a pas fini comme il aurait dû finir. Il a atteint son degré d’élévation et d’émotion le plus saisissant avec MM. Mézières et de Freycinet. Le premier, après avoir rappelé l’histoire de notre armée depuis trente-sept ans, et l’avoir rattachée aux variations chez nous de l’esprit militaire, si vif, si ardent après la guerre, mais qui s’est peu à peu amorti et amoindri à la suite d’une longue paix, a prononcé un Sursum corda ! qui a produit sur le Sénat un grand effet, lorsqu’il a invité M. le ministre de la Guerre à s’y associer, à s’expliquer devant les générations du pays qui arrivent à l’âge d’homme, à faire appel à leur patriotisme, à leur demander les sacrifices nécessaires, et lorsque enfin il a exprimé sa conviction, ou plutôt la certitude qu’un tel langage serait compris. Il l’aurait été, nous n’en doutons pas plus que M. Mézières, si le gouvernement l’avait tenu. Quant à M. de Freycinet, il a obtenu dans ce débat le plus beau succès de sa carrière parlementaire et oratoire : il est descendu de