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protesté, naturellement. Le Roi a pu leur répondre que leurs chefs, il y a quelque temps, étaient venus lui demander de leur confier cette même dictature qu’ils jugeaient détestable dans les mains de M. Franco, mais qu’ils auraient trouvée excellente dans les leurs. Aucun démenti n’a pu être opposé à cette parole du Roi, qui jette un jour cru sur la moralité des partis portugais. Dans cette mêlée confuse et violente où presque tous les coups portaient, tantôt sur les uns, tantôt sur les autres, le parti républicain seul, n’ayant jamais été au gouvernement, échappait aux accusations et pouvait porter sur les autres un jugement sévère sans crainte de retour. Il n’a pas manqué de le faire, et de soutenir que lui seul était à même d’arracher le pays à des pratiques qui le démoralisaient et l’exténuaient. On a dit chez nous de la République qu’elle était bien belle sous l’Empire : elle en est, en Portugal, à cette première et facile période.

On se demandait, après l’assassinat, quelle serait, pour ses débuts, la politique du nouveau règne. Il y a eu, semble-t-il, un court moment d’hésitation, car le jeune Roi, dans la première proclamation qu’il a adressée aux Portugais, disait brièvement et résolument : « Je déclare qu’il me plaît de conserver mes ministres actuels. » Sous quelle influence dom Manuel a-t-il écrit cette phrase, qui semble être l’affirmation d’un régime de bon plaisir ? Serait-ce celle de M. Franco ? L’audacieux ministre a-t-il cru qu’il pourrait continuer la lutte avec le fils, par les mêmes moyens qui avaient, en somme, coûté la vie au père ? Il semble bien que les adversaires de M. Franco l’ont cru capable d’adopter cette attitude de sombre énergie, et de l’imposer : l’un d’eux, en effet, M. d’Alpoïm, qu’on cherchait le lendemain pour en faire un ministre, avait précipitamment pris la fuite. Mais si de pareilles velléités ont traversé les esprits, elles ne s’y sont pas arrêtées, et bientôt des inspirations différentes s’en sont emparées. On les attribue à la reine Amélie ; et il est bien possible qu’elles soient venues de son cœur de mère. Au lieu d’une politique de répression, on a fait une politique de détente, et on l’a même poussée si loin qu’après avoir échappé à un excès dans un sens, nous ne sommes pas bien sûr qu’on ne se soit pas laissé aller à un excès dans l’autre, Les manifestations personnelles du jeune roi ont été empreintes d’une grande dignité : il s’est toujours adressé directement au cœur de son peuple, et il l’a fait en fort bons termes. Mais autour de lui, on a assisté à la revanche des partis. Ils sont tous entrés à la fois dans le ministère que préside l’amiral Ferreira d’Amaral : progressistes, régénérateurs et dissidens des uns et des autres, car chaque