Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

visage de Basiliola s’illumine, tout entier, d’un mépris victorieux. » Et nous l’entendons murmurer encore, de sa voix railleuse : « Regarde ! ma ceinture est si étroite que, en la fermant, tu as déjà ta couronne ! »


Tout cela, évidemment, est loin du naturel et de l’intensité vivante d’une scène de Racine ; et nous n’y éprouvons pas, non plus, l’impression singulière que nous procurent souvent ces grandes scènes de Shakspeare où il nous semble que chaque phrase, par la seule force de sa beauté poétique, nous fasse pénétrer jusqu’au fond d’une âme. Dans sa Nef comme dans toute son œuvre dramatique, ce sont surtout les poèmes des derniers opéras de Wagner que nous rappelle M. d’Annunzio ; et je regrette, à ce propos, que le vieux Traba, en énumérant au Navarque les incarnations précédentes de Basiliola, ait négligé de citer une certaine Kundry qui, jadis, dans les jardins du magicien Klingsor, a eu recours à des artifices de séduction bien proches de ceux que nous voyons employés, aujourd’hui, par la fille perverse d’Orso Faledra. Mais, à défaut de la puissante et exquise musique dont l’auteur de Parsifal avait le privilège de pouvoir entourer ses poèmes, l’auteur de la Nef n’est pas, lui-même, sans avoir à sa disposition un certain élément « musical » qui renforce, pour nous, la vérité et le relief pathétique de ses situations : un élément qui consiste, en partie, dans l’attrait sensuel des mouvemens, des couleurs, de tout le décor visible, et, en partie, dans la somptueuse harmonie du rythme des paroles, comme aussi dans la grâce troublante des images qu’elles évoquent. Jamais ces paroles ne nous parviennent, pour ainsi dire, à découvert : par-delà leur signification propre, nous les sentons enveloppées d’une atmosphère à la fois mystérieuse et pleine de volupté, — mais dont aucune trace ne subsiste, malheureusement, dans une traduction.

Si bien que je conçois sans peine le très réel et très vif succès remporté, au théâtre de l’Argentina, par ce dialogue de Basiliola avec le Navarque, et par la tragédie tout entière. Mais il y a dans un tel succès, quelque chose de passager et d’évidemment inférieur, dont je m’étonne que l’ambition d’un poète puisse se contenter, tandis qu’elle est capable de viser à une gloire infiniment plus haute. Par un inexplicable phénomène de « justice immanente, » toujours il se trouve que, dans les œuvres dramatiques, la beauté littéraire, seule, demeure vivante, et que tout ce qui d’abord’ s’y est mêlé d’étranger ne garde que durant fort peu de temps son empire sur nous. Les pièces les plus habilement construites, les spectacles les plus magnifiques ou