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mon message ! » Il ordonne aux archers d’emmener le vieillard ; et le voici seul, devant nous, en tête à tête avec Basiliola !

Celle-ci, pendant le départ de Traba, s’est retirée vers l’autel païen. « Adossée à une colonne, sous la guirlande de myrte, elle sourit, intrépide, et, par les longues fentes de ses paupières baissées, laisse couler son regard lent, qui dissout tout courage hostile. » Elle dit à Marco : « Despote, donne-moi ta chlamyde, pour que je m’en recouvre ! Je suis trop nue ! » Il tâche à ne pas la voir, à oublier sa présence. Les yeux fixés à terre, il dit, — il chante, — en des vers merveilleux, la profonde et mortelle fatigue dont il est accablé. Mais elle, sans paraître l’écouter, toujours elle l’interrompt pour lui rappeler qu’elle est belle. « Pose tes deux mains derrière mes cheveux ! » lui dit-elle ; ou bien : « Sens ! Tu ne connaissais pas encore ce parfum ! C’est Cordule qui me l’a fait, en mêlant le benjoin, le santal, et l’ambre. » Enfin Marco, affolé, la supplie de lui dire son secret : « Es-tu vraiment celle que criait cet homme de Dieu ? Quand es-tu née ? De quel lait as-tu été nourrie ? Et comment es-tu sans une ride, après la multitude de tes forfaits ?… Tu me hais, et, vivante, tu te mêles à moi, vivant ! J’ai aveuglé ton père et tes frères, et tu ne montres point de répugnance lorsque, t’ayant prise par les cheveux, je te baise sur les paupières, comme ceci ! »

Alors la séductrice, serrée contre lui, l’excite à de grands rêves de puissance et de gloire. Lui énumérant des exemples d’esclaves ou d’obscurs soldats que l’amour d’une maîtresse a poussés jusqu’au trône impérial, elle l’exhorte à trahir ses sermens, et, sur le navire qui bientôt va être achevé, à « s’élancer contre l’émule de Rome, laissant derrière lui les étangs amers ! » Mais non : rien au monde n’existe plus, pour lui, que son amour. « Dieu m’a abandonné ; et l’Idole a été plus forte que Lui, puisque tu m’as vaincu ! Veux-tu que j’allume le feu, sur l’autel que voici ? Toutes les fautes, je les prendrai sur moi ! M’aimes-tu ? me hais-tu ? Quelle fin me prépares-tu ? Mais ton baiser, qu’il soit d’amour ou de haine, vaut, pour moi, l’univers ! » Et comme elle lui répète qu’elle est « trop nue, » le Navarque se dévêt de sa chlamyde rouge, et l’en enveloppe. « Ainsi mantelée de pourpre, elle semble sourire, en soi-même, de sa victoire. » Elle lui dit : « Despote, ramasse-moi ma ceinture, et ma tunique !… Allons, penche-toi ! N’en aie point de honte ! » Nous le voyons se pencher, en effet, après un court et tragique moment d’hésitation. Il ramasse la ceinture, et, agenouillé devant Basiliola, tâche à la serrer autour de sa taille. Et pendant qu’ainsi il s’humilie, et que le rideau se ferme doucement, « le