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premières pages de ses Souvenirs, écrites à Prozelten en 1795, et que l’abbé, sans doute, n’aura jamais trouvé le loisir de revoir, nous lisons que cet homme admirable est mort sur l’échafaud, peu de temps après son retour des Pays-Bas, victime de sa compassion pour les prêtres persécutés. Non pas : fort heureusement, M. Vanel nous apprend que l’abbé s’est trompé sur le sort de son bienfaiteur. Billaut a été effectivement arrêté, à plusieurs reprises, et a même comparu devant le Tribunal révolutionnaire, le 20 avril 1793. Il avait été dénoncé, le 28 mars précédent, par la section du Théâtre-Français, dont dépendait sa rue Saint-André-des-Arcs ; et une perquisition faite dans son logement avait révélé la présence, chez lui, « d’ornemens d’église, de croix, d’hosties, de cierges, et de lettres de correspondance avec des émigrés. » Comme le dit très justement l’érudit caennais, « c’était là plus qu’il ne fallait pour conduire à l’échafaud ; » et nous avons peine à comprendre par quel miracle Billaut est parvenu à sauver sa tête, en déclarant simplement que les objets en question, « dont il ignorait la nature, lui avaient été laissés en dépôt par un chartreux qu’il ne connaissait point. » Mais une autre pièce, du 28 juin de la même année, nous le montre ayant la chance incroyable d’obtenir un non-lieu, « à condition d’être désormais plus circonspect. » Après quoi, son dossier aux Archives Nationales ne porte plus aucune trace d’une autre arrestation ; et rien ne nous défend donc d’imaginer que l’abbé de Préneuf, de retour en France, au moment où il s’apprêtait à célébrer une messe pour le repos de l’âme de l’excellent maître-cordonnier, ait eu la joyeuse surprise de rencontrer, bien vivant en chair et en os, celui qui avait été le premier témoin de son émigration.


GASTON LEFEVRE.