Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/919

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nourri, je faisais de longues promenades dans une voiture mise à mon service ; et j’avais la société de quelques ecclésiastiques du pays et du voisinage, dont je n’eus qu’à me louer en toute façon… Aussi fus-je bientôt rétabli. »

Après l’avoir gardé quelque temps encore auprès de lui, à Ratisbonne, le prince-évêque installa son protégé dans une petite ville toute proche, Donaustauf, sur le Danube, où un logement lui était réservé chez le maître de chapelle de la cour épiscopale, et où le bailli s’était engagé à le nourrir, en échange de leçons de français données à ses enfans. C’est là que l’auteur des Souvenirs passa, très paisiblement, les trois dernières années de son exil. Le seul gros ennui qui lui soit resté en mémoire fut la nécessité où il se trouva, le 28 février 1799, de renoncer à prendre ses repas dans la maison du bailli. Ce bailli lui-même était « un excellent homme, instruit, et d’un cœur généreux ; » et ses enfans s’étaient profondément attachés à leur professeur. Malheureusement il y avait là Mme la baillive, qui était « d’un caractère tout opposé à celui de son mari. » Avec cela, protestante, et ne pouvant souffrir l’idée que ses enfans subissent l’influence d’un prêtre catholique. Pendant près d’un an, toutefois, le tact et la douceur naturelle de l’abbé avaient réussi à calmer « les susceptibilités » de cette dame, quand « un léger incident vint tout gâter. » Le bailli recevait souvent à sa table un ancien conseiller, « brave homme, mais fort bavard et très expansif, » qui, dès le premier jour, s’était pris, pour l’abbé, de la plus vive amitié. Un soir, ce conseiller, malgré tous les efforts du bailli et de l’abbé pour le faire taire, entreprit une discussion acharnée, avec son hôtesse, sur les qualités et les défauts des prêtres catholiques : sur quoi, tout à coup, la dame se leva de table et quitta la salle, emmenant ses enfans.

Ainsi l’abbé eut à se priver de repas quotidiens qui doivent avoir été d’une saveur exceptionnelle, à en juger par la manière dont, longtemps même après son départ de Donaustauf, il ne pouvait s’empêcher de les regretter. Et sans doute ce regret fut encore aggravé par le contraste de la cuisine qui succéda, pour lui, à celle du bailli : car il nous apprend que, toutes les pensions de la ville étant « trop chères pour sa bourse, » il se résolut à se préparer lui-même ses repas, dans sa chambre. « J’achetai quelques ustensiles, et me mis à pratiquer les mystères du pot-au-feu. Quelle cuisine ! Elle n’était ni difficile, ni compliquée,