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sur des suppositions, était alors beaucoup plus commun qu’on ne pourrait le croire. »

Grâce à la générosité merveilleuse du vieux prêtre de Bayreuth, l’abbé de Préneuf put, en quittant cette ville, le 9 septembre 1796, s’installer commodément dans une diligence qui devait le conduire jusqu’à Hof. Mais sans doute sa destinée ne voulait point qu’il pût faire en paix une seule des étapes de son voyage entre Constance et Hof ; car, cette fois, la diligence qui le conduisait versa, et tous les passagers furent précipités dans un fossé, d’où ils eurent grand’peine à se relever. Ils n’arrivèrent à Hof que dans la nuit, « avec des vêtemens en mauvais état, et des figures entourées de foulards et autres bandages de circonstance. »

Du moins n’avait-on pas trompé M. de Préneuf en lui faisant espérer, dans cette petite ville, des leçons de français. Les leçons étaient fort peu payées, mais suffisaient, à la rigueur, pour couvrir les frais de nourriture et de logement. « Je me souviens, entre autres élèves, d’une vieille dame qui s’était mis en tête d’apprendre le français, et qui, avec les manières les plus respectables, avait les manies les plus ridicules. Elle ne pouvait prendre sa leçon qu’avec ses deux bêtes : son chat sur les genoux et son chien couché à ses pieds. Or, comme ces deux animaux, malgré les ordres de leur maîtresse, se faisaient une guerre acharnée, il ne se passait pas cinq minutes sans des aboiemens ou des miaulemens furieux. Mon français se trouvait très mal de cette collaboration bizarre ; et j’étais obligé de recommencer mes phrases à chaque instant. Au bout d’un mois, la bonne dame me répondait encore en allemand, et, pour tout français, savait prononcer oui et non. »

Parmi les nombreux émigrés qui étaient alors réunis à Hof, et dont l’abbé de Préneuf nous a laissé de charmans et vivans portraits, se trouvait notamment un vieux gentilhomme de près de quatre-vingts ans, « modèle accompli d’antique politesse et de distinction fine et aisée, » qui, dépouillé par la Révolution d’une fortune considérable, s’accommodait presque volontiers de son indigence présente. Il aimait à rappeler les fêtes et toute la vie galante de la cour de Louis XV ; mais souvent aussi il disait à l’abbé de quelle tristesse l’avait rempli naguère, à Coblence, la vue des « mesquines agitations de la cour des Princes. » Ce vieillard affirmait que la noblesse française avait commis une