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mieux qu’il put… L’aide lui recommanda de ne pas bouger et de ne faire aucun bruit ; puis il le quitta, en refermant soigneusement la porte. » L’abbé L… eut à passer trois jours entiers dans ce recoin obscur, où il ne pouvait ni se lever, ni même s’asseoir un peu à son aise. Le soir du 3 septembre, son sauveur vint lui apporter une bouteille d’eau et quelques restes de viande, enveloppés dans un chiffon. Le lendemain, à la même heure, le jeune homme revint avec de nouvelles provisions. « Il lui dit qu’il ne pouvait encore essayer de le faire sortir, la prison étant toujours remplie de municipaux et de gendarmes, mais qu’il espérait avoir bientôt plus de facilité. » Et, en effet, le soir suivant, le jeune guichetier fit sortir l’abbé de sa soupente et le mena, ou plutôt le porta, — car le malheureux avait momentanément perdu l’usage de ses membres, — jusqu’à une salle du rez-de-chaussée, où il lui fit revêtir une carmagnole et lui donna un vieux chapeau. Après quoi, il le cacha sous de vieilles toiles, et lui dit qu’il allait tout préparer pour sa sortie.

« L’ébranlement causé par les épreuves qu’il venait de traverser avait tellement déprimé les forces morales et physiques de l’abbé que, à partir de cet instant, il ne se rappelait plus que vaguement ce qui lui était arrivé. Il avait traversé deux cours où l’air l’avait un peu ranimé ; il avait ensuite longé des couloirs ; et il était sûr que, au moment où on lui fit descendre un petit escalier dont la porte donnait sur une rue étroite et obscure, son libérateur était accompagné par un autre homme, dont il n’avait pu distinguer les traits, et qui avait gardé le mutisme le plus complet. »

L’honnête jeune homme conduisit d’abord son protégé chez sa mère, qui demeurait dans une rue voisine : l’abbé y passa la nuit. Lorsqu’il repartit, le lendemain matin, ni cette femme ni son fils « ne voulurent absolument accepter aucune rémunération. » L’abbé se rendit ensuite chez une marchande de laines qui était originaire de son village, et demeurait dans le quartier du Louvre. Il resta chez elle plus d’une semaine, entouré des soins les plus touchans ; et ce fut encore un parent de la marchande de laines, maraîcher des environs de Paris, qui lui fit franchir la barrière, l’ayant caché sous un tas de légumes, au fond de sa voiture.

« L’abbé L… m’avait conté bien d’autres détails de cette