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famille de magistrats très honorablement connue, depuis plus de deux siècles, dans le Bourbonnais. Après avoir fait ses humanités au collège parisien du Fortet, il était entré dans les ordres, avait étudié en Sorbonne, et, ayant obtenu avec éclat son diplôme de docteur en théologie, avait été nommé successivement vicaire de la paroisse de Saint-Merri, chanoine de la même paroisse, et puis, en 1788, curé de l’église Notre-Dame-de-Saint-Lambert, à Vaugirard, — qui était alors un gros village d’environ 2500 âmes. Là, tout de suite, il s’était fait aimer de ses ouailles par sa simple et solide piété, son zèle charitable, et sans doute aussi par cette charmante bonhomie entremêlée de finesse dont ses Souvenirs d’Émigration ont nous offrir de nombreux témoignages. C’est sur le désir unanime de ses paroissiens qu’il avait consenti, en 1790, à faire partie du premier conseil municipal de Vaugirard, et à y remplir les fonctions de procureur-syndic. Aujourd’hui encore, les vieux habitans de Vaugirard n’ont pas entièrement perdu le souvenir de cet homme de bien, et se rappellent notamment la façon, à la fois toute chrétienne et toute politique, dont il avait su réconcilier deux bataillons de gardes nationaux : après quoi, en présence de ces anciens ennemis désormais devenus, — au moins pour quelques heures, — les plus tendres des frères, il avait célébré une grand’messe, suivie d’un solennel Te Deum d’actions de grâces. Tel jadis le bienheureux Jacques de Voragine, l’auteur de la Légende dorée, contraignant, par son ardeur pieuse, les Guelfes et les Gibelins génois à déposer leurs armes et à s’embrasser affectueusement, au pied du maître-autel de leur cathédrale !

Il est vrai que, pour pouvoir jouer ce rôle bienfaisant, l’abbé de Préneuf avait dû, d’abord, prêter le serment qu’exigeait du clergé l’Assemblée Constituante, et désobéir ainsi aux ordres de Rome ; mais il avait l’âme trop profondément catholique pour persévérer longtemps dans cette attitude, et, dès le mois de septembre 1791, très courageusement, en pleine séance de l’assemblée municipale, il avait rétracté son serment de naguère. En même temps, dans une lettre adressée à ses paroissiens, il avait fait part à ceux-ci de sa rétractation, ainsi que « du chagrin et des remords dont il était dévoré. » Il leur disait que, « comme Jonas, il avait mérité la tempête par sa résistance aux ordres de Dieu. » Il rappelait ensuite que quatre évêques seulement, sur cent trente-six, avaient consenti à admettre la constitution