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l’Europe, et ils en abusent. Le récent discours du baron d’Æhrenthal semble avoir rompu, entre les cabinets de Vienne et de Pétersbourg, le bon accord qui, depuis Muerzsteg, maintenait en Orient le statu quo ; et, en même temps, Fdouard VII, dans son discours du trône, insiste sur « la vive anxiété » que lui cause la situation des vilayets macédoniens. L’Angleterre qui rentre en scène, la Russie qui reprend sa liberté d’action, l’Autriche qui se remet en marche vers Salonique, voilà des faits nouveaux qui peuvent modifier profondément l’aspect actuel de l’éternelle question d’Orient.

Nous avons vu, d’autre part, de quel poids pesé la crise macédonienne sur la vie politique et jusque sur la vie sociale des Bulgares. Le péril, ici, prend la forme d’une tentation. C’en est une, en vérité, on ne saurait trop le redire, quand on a dans la main une armée nombreuse, entraînée, qui brûle du désir de se battre, qui se ronge dans l’inaction et qui coûte cher, de la jeter un beau jour vers ces plaines de la Maritza au-delà desquelles miroitent les flots bleus de la mer Egée, la coupole de Sainte-Sophie, et la couronne royale, qui ne s’acquiert qu’au prix d’une victoire ! Un prince moins sage, moins patient, moins confiant dans l’avenir, que ne l’est Ferdinand Ier, n’y résisterait pas : il entraînerait la Bulgarie à la délivrance de la Macédoine. Et lui-même, le prince Ferdinand, pourra-t-il toujours y résister ? L’opinion, aujourd’hui, plus que les souverains, est reine du monde. S’il se croyait assuré de puissantes amitiés, s’il recevait certains encouragemens significatifs, l’action ne deviendrait-elle pas, pour lui, une nécessité, un devoir même ? Alors les biens et les maux seraient déchaînés la grande crise commencerait.


RENE PINON.