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annihiler en se l’adjoignant. Derrière ce fantôme de légalité, pendant près d’un an, Stambouloff exerça la dictature : étrange personnage, odieux par sa brutalité, sa cruauté, son manque absolu de scrupules, et attirant, malgré tout, par son audace, son ardeur patriotique, sa foi bulgare. Il y avait, en ce petit homme noir, à la grosse tête carrée, aux yeux fauves et aux pommettes saillantes de Tartare, une terrible force de volonté et d’exécution. C’est lui qui a libéré son pays de la tutelle étrangère. Malgré sa rudesse presque sauvage qu’explique son milieu et son temps, il est digne de compter parmi ces « professeurs d’énergie » qui savent donner à leur pays, au moment critique, l’impulsion nécessaire, la secousse libératrice. De tels hommes n’ont pas de place dans une société policée, dans un État tranquille ; ils surgissent dans la tempête, comme ces grands oiseaux de mer aux larges ailes et au bec dur qu’amène l’ouragan. Notre XVIe siècle, pendant les guerres de religion, et, en Allemagne, l’époque de la guerre de Trente ans ont vu à l’œuvre quelques-uns de ces rudes forgerons. Installé à Sofia, Stambouloff frappait à coups redoublés sur ses adversaires, réprimant sans merci toute velléité de résistance, fusillant, emprisonnant, dominant par la terreur, mais remettant de l’ordre et de la discipline dans le pays.

Voilà le personnage dont il fallait d’abord, pour régner en Bulgarie, subir la tutelle et accepter la dictature. Il fallait, en outre, apaiser la Russie ou se maintenir malgré elle, et l’une ou l’autre alternative semblait également impraticable : l’exemple du prince de Battenberg était là pour montrer qu’il n’était possible ni de régner par les Russes malgré les Bulgares, ni de se maintenir par les Bulgares contre les Russes. La Bulgarie cependant avait besoin d’un prince pour retrouver une apparence d’ordre légal. L’assemblée de Tirnovo, élue sous les auspices ou plutôt sous la pression de Stambouloff, s’avisa de choisir un Danois, le prince Waldemar qui, trouvant la perspective peu engageante, préféra la cour paisible d’Elseneur aux hasards d’une royauté balkanique. Une nouvelle assemblée élut le prince Ferdinand de Saxe-Cobourg (7 juillet 1887).

Ce petit-fils de Louis-Philippe avait alors vingt-six ans : il avait rang de lieutenant dans l’armée autrichienne, mais le métier des armes, aujourd’hui que les armes se portent surtout au fourreau, paraissait avoir peu d’attraits pour le jeune prince ; il