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besoin, ses armes. Sofia était une capitale d’attente en même temps qu’une place d’avant-garde. Elle est située au centre géométrique de la péninsule balkanique, au croisement des deux grandes routes naturelles qui la coupent en diagonale : l’une est celle que suit l’Orient-express de Belgrade au Bosphore par Nisch, Sofia, Philippopoli, Andrinople ; c’est la vieille voie historique qu’ont utilisée les premiers croisés allant vers l’Asie, et, en sens inverse, les invasions turques. L’autre, qu’aucun chemin de fer n’emprunte encore dans toute sa longueur, est celle qui, partant de l’Adriatique, se dirige vers la Mer-Noire par Uskub, Sofia, la trouée de l’Isker et les plaines du Danube. Par l’Isker qui, descendu du mont Rilo, traverse le Balkan et va rejoindre le Danube, Sofia communique avec Tirnovo et la vallée danubienne ; par Pernik et Kustendil, elle dispose d’une route pour descendre dans le bassin du Vardar, sur Uskub ; par les passes de Dragoman et Pirot, elle est en relations avec Nisch et Belgrade, et par les plateaux peu élevés que franchit la voie ferrée de Sofia à Philippopoli, elle est bien placée pour descendre vers les riches plaines de la Maritza, vers Andrinople et Constantinople. En établissant son cœur et son cerveau à Sofia, la Bulgarie affirmait à la fois sa volonté de vivre et ses espérances de grandir ; elle posait sa candidature à l’hégémonie de la péninsule.


II

Pour réaliser l’œuvre de sa résurrection nationale, la Bulgarie pouvait compter d’abord sur l’antique énergie de sa race, réveillée par le vin nouveau de l’indépendance et de la liberté politique. Dans la Turquie d’Europe, on le sait, la domination ottomane n’a pas cherché à assimiler les peuples conquis ; partout où ceux-ci ont su conserver leur religion, elle a servi de, sauvegarde à leur langue, à leur histoire et à leur sentiment national ; les races anciennes, qui peuplaient la péninsule au temps de Byzance, se sont retrouvées presque intactes, les Turcs disparus, comme ces mosaïques des anciennes églises orthodoxes qui réapparaissent dans leur fraîcheur et leur éclat primitifs dès que s’effrite le mince suaire de chaux dont les avait blanchies le zèle pieux des musulmans. Tous ces peuples ressuscites ont retrouvé intactes les traditions et les mœurs, l’organisation sociale et religieuse de leurs aïeux : leurs annales,