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La merveille est de voir un pareil style au service d’une doctrine dont la sévérité touche à l’ascétisme. Qu’on imagine un Epictète qui frapperait ses maximes dans la langue de René. Car enfin, cette doctrine de l’acceptation qui s’affirme à chaque nouveau livre de M. Barrès d’une façon plus précise et plus convaincue, cette doctrine n’offre rien de commun avec ces philosophies chatoyantes, rêveuses ou enivrantes dont l’intelligence des poètes a coutume de se nourrir. Discipline mortifiante à laquelle les classiques de tous les temps se soumettent sans dire mot et contre laquelle tous les anarchistes de l’idée ou du sentiment ne cessent de faire rage, c’est, je crois bien, la première fois qu’un fils des romantiques se présente pour l’exalter.

Doctrine, système, théorie, je n’oublie pas qu’aux premières pages de cette étude, ces grands mots nous faisaient peur. Médiocrement éblouis par la synthèse du Culte du moi, nous en appelions du Barrès métaphysicien au Barrès artiste, et nous préférions hardiment le génie de l’un aux idéologies de l’autre. Allons-nous nous contredire et donner comme souverainement importante telle construction provisoire que professe aujourd’hui M. Barrès et qu’il oubliera demain ? « Culte du moi, » défense de l’individualisme, autant de systèmes préconçus que l’artiste caresse un moment avec la complaisance des idéologues et auxquels il s’efforce de plier ou de rattacher ses inspirations les plus spontanées. La philosophie de l’acceptation, au contraire, M. Barrès l’a vécue, si l’on peut dire, longtemps avant de la formuler. Emergeant peu à peu du crépuscule de l’inconscient, elle éclairait déjà, elle animait, elle rachetait les pages les plus révoltées de son œuvre, préparant ainsi par une suite d’ébauches de plus en plus poussées les livres où elle devait enfin se révéler dans son austère rigueur. C’est là qu’il faut chercher le secret profond, l’orientation, l’unité complexe et pathétique de ces vingt-cinq années de vie littéraire, l’aiguillon intérieur qui stimulait l’apparente frivolité de l’Homme libre et de l’ami de Bérénice, et qui ne laissait pas l’enthousiasme de Sturel sombrer avec la faillite de ses héros.

L’acceptation, on pourrait peut-être préciser le lieu et l’instant où M. Barrès rencontra pour la première fois cette rude