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raisonnée d’un relativisme dont la pensée de M. Barrès est tout imprégnée.

Ainsi plus nous avançons dans nos recherches, et plus nous semblons reculer. A chaque pas, de nouvelles antinomies nous arrêtent. M. Barrès nous apparaît comme un artiste aussi passionné que volontaire, aussi curieux de « sentir » qu’habile à se maîtriser dans ses émotions les plus lyriques. Nous le croyons perdu jusqu’à la subtilité dans les paralysantes délices de l’analyse intérieure, et en même temps, il se révèle à nous comme tellement idolâtre de ses héros que les justes sévérités de sa propre critique ne parviennent pas à le déprendre de ce culte. Indolentes voluptés d’une imagination qui semble se laisser aller à la dérive, et netteté extraordinaire d’une intelligence qui se rend compte de tout, langueur et fermeté, faste et sécheresse, Saint-Simon et Nicole, Renan et Bonald, tant de conflits, qui nous gêneraient fort si nous avions entrepris de découvrir la faculté maîtresse de notre écrivain, se résolvent harmonieusement dans son œuvre, comme se fondent dans une atmosphère unique les caractères opposés du paysage lorrain.


Divine douceur de ce chétif paysage, si mol et si fort, racinien et cornélien. Il brise le cœur et raffermit. Perpétuel attendrissement, mais qui formerait des héros.


Il semble donc que nous n’ayons pas fait fausse route, en admirant, de préférence à tant de beautés plus surprenantes, la belle ordonnance classique à laquelle ce tempérament romantique a voulu se soumettre, et l’heureux équilibre que l’auteur des Amitiés françaises parvient à maintenir entre tant de puissances contraires. Cet équilibre est un des aspects les plus imprévus peut-être, mais assurément les plus caractéristiques de son talent. Un menu trait nous le rappellerait au besoin, un de ces riens révélateurs comme les aimait Sainte-Beuve. Les routes préférées de M. Barrès n’ont rien de tumultueux. Si elles montent, c’est par de paisibles lacets qui laissent presque l’illusion de la plaine. Il n’est jamais mieux inspiré que sur les chemins qui font terrasse et en présence d’un de ces paysages qu’on peut embrasser d’un seul regard. « Où que je sois, écrit-il, je suis mal à l’aise, si je n’ai pas un point de vue d’où les détails se