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J’ai rencontré, dit-il, au tournant de mon ascension la chapelle aux arceaux nerveux, le coin secret où le roi (saint Louis) s’agenouillait et suppliait Dieu qu’il lui accordât le don des larmes. Cette forte prière n’exprime-t-elle pas, avec la netteté des cœurs sans ironie, la volupté où j’aspire et que Bérénice semble porter aux plis des dentelles dont elle essuie ses tendres yeux ?


Ceux qui pensent trouver dans ce passage la clef du Jardin de Bérénice, entendent bien savourer autant que personne ce livre charmant. A la vérité, rien n’est plus accessible au commun des hommes que la rêverie sentimentale d’où est née la Bérénice de M. Barrès, mais la simplicité du thème ne fait que mieux ressortir l’art de l’écrivain. Croit-on que le premier venu puisse donner ainsi un air de rareté à la plus ordinaire des expériences et comme une saveur nouvelle au goût de pleurer ? Pour trouver dans l’histoire littéraire un livre d’une inspiration et d’une excellence analogue, il faut peut-être remonter jusqu’aux Reisebilder, et mieux encore, jusqu’au Voyage sentimental. Un Sterne qui aurait d’instinct la distinction et le goût classiques, un Racine dont l’Iphigénie ne dédaignerait ni l’âne ni les canards de Bérénice, tel nous apparaît M. Barrès dans ce joli caprice qui n’est pas le moins révélateur de ses livres.

Du reste, il jouait de bonheur, le jour où l’idée lui vint de « prêter son cœur à cette petite mendiante d’affection » pour qu’elle « le rafraîchît entre ses mains. » Les dissertations des amis de Bérénice illustrent le livre sans l’alourdir et, comme le voile noir de Célimène, la gravité de ces propos rend la grâce des autres chapitres encore plus prenante. On remarque bien au début quelque hésitation entre les divers symbolismes qui attiraient tour à tour les préférences de M. Barrès. Le culte du moi, — cela va sans dire, — les antinomies entre la contemplation et l’action, la poésie et la politique, les mains de Bérénice sont trop petites pour tenir à la fois de si lourds trésors. Quant à l’apologie du dilettantisme, écrite par Sénèque le philosophe et traduite par M. Anatole France, c’est par mégarde que M. Renan l’aura laissée tomber des poches de son pardessus. Mais, en revanche, les méditations sur Bérénice, l’âme des foules et l’inconscient, font partie intégrante du livre et en soulignent le sens profond. Idéologie sans doute, mais idéologie passionnée ; philosophie, mais concrète, humaine, vivante et qu’on ne saurait distinguer de la poésie.