Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/807

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jusqu’à toi, j’avais sur moi-même des idées confuses. Tu m’as montré que j’appartenais à une race incapable de se réaliser. Je ne saurais qu’entrevoir. Il faut que je me dissolve comme ma race.


Comme on le voit, ses maîtres barbares pèsent encore sur cette jeune pensée, et ne lui permettent pas de dégager le vrai et stimulant déterminisme de la terre et des morts. A vingt-cinq ans, il n’y a pas d’ermitage qui tienne, on ne saurait être un homme libre. Croyez-en plutôt la singulière et perverse résolution qui couronne cette retraite.


Je vais jusqu’à penser que ce serait un bon système de vie de n’avoir pas de domicile, d’habiter n’importe où dans le monde. Un chez soi est comme un prolongement du passé : les émotions d’hier le tapissent. Mais, coupant sans cesse derrière moi, je veux que chaque matin la vie m’apparaisse neuve et que toutes choses me soient un début.


Laissons-le croître. Il faut que barbarie se passe, et que Philippe achève son tour du monde romantique. Nous l’en croirons mieux lorsque, de retour, il nous dira que seule, sa Lorraine ne l’a point déçu. Qu’il coure donc « s’enfermer dans Venise, » « confiant que cette race lui sera d’un bon conseil ; » qu’après Venise, — « encore un citron de pressé, » — il aille se déchirer à « la pointe extrême de l’Europe ; » en un mot, qu’il exalte et brise tour à tour les splendides miroirs où il essaiera de se reconnaître ; il aura beau faire, il n’effacera pas de son esprit l’image que lui a laissée le miroir lorrain et qui l’immunise d’avance contre les poisons de la route. Cette image le suivra comme un remords au pied des autels barbares, et, aux plus brûlantes étapes du voyage, elle hâtera l’heure de la satiété et de l’ennui. Tôt ou tard elle le ramènera, et c’est ainsi qu’il n’aura « tant marché que pour revenir à cette petite plage où naquit sa tendresse. »


Plus que tout au monde, écrira-t-il enfin, j’ai cru aimer le musée du Trocadéro, les marais d’Aigues-Mortes, de Ravenne et de Venise, les paysages de Tolède et de Sparte ; mais à toutes ces fameuses désolations je préfère maintenant le modeste cimetière lorrain où, devant moi, s’étale ma conscience profonde.


Avant de l’accompagner dans ses longues erreurs, arrêtons-nous au Jardin de Bérénice. L’intrigue impalpable de ce dernier volume de la trilogie du culte du moi, ne nous intéresse pas