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bouillotte que dans un aigle des Alpes. Très bien ; très juste ; c’est très intéressant : précisément il faut autant de chaleur pour faire bouillir l’eau de la bouillotte que pour élever l’aigle des Alpes jusqu’à son nid. Mais nous autres peintres, tout en reconnaissant que la bouillotte et l’oiseau sont égaux et semblables à tous les points de vue scientifiques, prenons un intérêt principal à la différence de leurs formes. Le fait auquel va notre attention, c’est que l’un a un couvercle sur le dos et l’autre une paire d’ailes, et que leurs becs ne se ressemblent pas, — sans parler de la distinction de volonté que les physiciens peuvent appeler un simple mode de l’énergie. La bouillotte aime à rester tranquille au coin de l’âtre ; l’aigle choisit de se suspendre dans les airs. C’est ce choix, non le degré de la température produite tandis qu’il s’accomplit, qui nous semble la circonstance intéressante. Les savans ont fait d’excellens travaux, récemment, à leur façon : l’équivalence de la force et de la lumière est un bel exemple de découverte systématisée ; cette idée que le soleil reçoit sa flamme d’une grêle météorique qui ne cesse pas est imposante, et il semble bien qu’elle soit vraie Bien entendu, ce n’est que la théorie du vieux briquet, — acier et silex, — sur une grande échelle ; mais ici son ordre et sa majesté sont sublimes. Pourtant nous autres sculpteurs et peintres, nous nous en soucions fort peu. C’est très beau, disons-nous ; c’est très utile, cette chute éternelle de planètes qui fait jaillir la lumière du soleil. Mais vous pouvez continuer votre grêle pendant l’infini des temps sans produire ce que nous produisons. Voici un morceau d’argent qui n’est pas si grand qu’une pièce d’une demi-couronne, et sur lequel, d’un seul coup de marteau, l’un de nous, il y a deux mille et quelques années, a frappé la tête de l’Apollon de Clazomène. Ce n’est rien qu’une question de forme ; mais si jamais l’an de vous, philosophes, avec le système planétaire tout entier comme marteau, peut frapper un autre morceau d’argent comme celui-là, nous lui tirons nos chapeaux. En attendant, nous les gardons sur nos têtes[1]… »

Tel est l’ironique dédain de l’idéaliste devant la plus grande généralisation de la science moderne, celle qui pose l’unité de la nature, et, sous la variété de ses phénomènes, aperçoit une quantité fixe. Faites passer tout l’univers par votre rigoureux moulin mathématique ; vous obtiendrez un produit d’analyse

  1. Ethics of the Dust.