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On peut, d’après ce que nous savons déjà de l’auteur, deviner aisément ce que fut cette œuvre. Anne y affecte volontiers de grandes prétentions à l’impartialité sereine de l’historien ; elle déclare quelque part que « quiconque se mêle d’écrire l’histoire, doit s’affranchir également de passion et de haine, savoir louer ses ennemis lorsque leur conduite l’exige et blâmer ses parens les plus proches lorsque leurs fautes le rendent nécessaire. » Elle ne fait pas un moindre étalage du souci qu’elle prétend avoir de la vérité. « On dira peut-être en me lisant, écrit-elle, que mon langage a été altéré par mes affections naturelles. Mais, j’en jure par les périls que l’empereur mon père a courus pour le bonheur des Romains, par les exploits qu’il a accomplis, par tout ce qu’il a souffert pour le peuple du Christ, ce n’est point pour flatter mon père que j’écris ce livre. Chaque fois que je le trouverai en faute, résolument j’écarterai les inspirations de la loi naturelle pour m’attacher à la vérité. J’aime mon père, mais j’aime davantage encore la vérité. » Et de même elle a pris soin de nous renseigner fort minutieusement sur les sources diverses où elle a puisé la matière de son histoire ; elle a consulté les souvenirs des vieux compagnons d’armes de son père, feuilleté les simples et véridiques mémoires où, sans nul souci de l’art ni de la rhétorique, ils avaient raconté leurs exploits et ceux de l’empereur leur maître ; elle y a joint tout ce qu’elle-même avait vu, tout ce qu’elle avait recueilli de la bouche de son père, de sa mère, de ses oncles, tout ce que lui avaient rapporté les grands généraux d’Alexis, acteurs et témoins des gloires de son règne ; et elle insiste volontiers sur l’accord de tous ces témoignages et sur l’évidente sincérité qu’ils offrent, « maintenant que toute flatterie, que tout mensonge a disparu avec la mort d’Alexis et que les gens, n’ayant d’autre souci que de flatter le maître actuel, et ne s’inquiétant plus guère d’aduler le maître disparu, présentent les choses dans leur nudité et racontent les événemens tels qu’ils se sont passés. » Il est exact qu’Anne Comnène a eu une préoccupation réelle et sincère de recueillir des informations authentiques et circonstanciées. Outre les traditions orales, elle a consulté les archives de l’empire et y a copié des documens d’importance capitale ; elle a transcrit dans son livre le texte de certains actes diplomatiques, de certaines pièces de correspondance privée ; elle a même poussé si loin le souci de la documentation que, pour