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s’empressaient à lui plaire ; à l’occasion des fiançailles de son fils aîné Alexis avec la fille d’un prince d’Abasgie, les orateurs officiels célébraient en de pompeux épithalames les qualités de ce jeune homme, qui semblait destiné à l’empire, et la gloire de ses parens. On notait avec complaisance sa ressemblance frappante avec le basileus son grand-père dont il portait le nom ; on s’extasiait sur l’éducation qu’il avait reçue, avec son frère Jean Doukas, sous la direction de la mère éminente que le ciel leur avait donnée. Bref, tout semblait aller à souhait, et Anne Comnène touchait au comble de ses vœux. L’empereur cependant réservait toujours sa décision finale, et les choses en étaient là, quand, au courant de l’année 1118, Alexis tomba malade très gravement. C’est alors qu’un drame tragique se joua autour de cette agonie.

Si on lit dans l’Alexiade le récit de ces journées d’août 1118, où l’empereur achevait de mourir, on ne trouvera dans ces très belles pages, toutes vibrantes d’une sincère émotion, presque aucune trace des compétitions déchaînées et des passions ardentes qui se heurtaient au chevet du mourant. On y voit des médecins impuissans, qui s’agitent vainement autour du malade, et ne parlent, comme des médecins de Molière, que de purger et de saigner. On y voit des femmes affligées qui se lamentent et pleurent, et qui s’efforcent inutilement de soulager les derniers momens de l’agonisant. Les filles de l’empereur, sa femme entourent le lit. Marie essaie de verser un peu d’eau dans la gorge tuméfiée du malade : lorsqu’il semble défaillir, elle le ranime en lui faisant respirer des essences de rose. Irène sanglote, ayant perdu toute l’énergie qui la soutenait au début de la crise : anxieuse, désespérée, elle interroge les médecins, elle interroge sa fille Anne, et il semble, à voir son attitude, qu’elle doive survivre à peine à la mort de son époux. Anne, toute à sa douleur, « méprisant, comme elle l’écrit, la philosophie et l’éloquence, » tient la main de son père et, tristement, observe les battemens du pouls qui s’affaiblit. Enfin voici l’instant suprême. Pour cacher à Irène les derniers spasmes de l’agonie, Marie se place discrètement entre elle et l’empereur, et brusquement Anne sent que le pouls a cessé de battre. D’abord, elle reste sans paroles, la tête baissée vers la terre ; puis, couvrant des deux mains sa figure, elle se met à fondre en sanglots. Irène, comprenant alors, pousse un long cri de désespoir : elle jette par