Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 43.djvu/696

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

admirables, « qui brillaient sous les sourcils comme un joyau dans l’or. » « Sa beauté, dit ailleurs Anne Comnène, semblait du ciel, et non de la terre. » En effet, il devait mourir prématurément, âgé de vingt ans à peine, avant que se fût réalisé ce mariage sur lequel sa petite fiancée fondait tant d’ambitieuses espérances. Toute sa vie Anne Comnène conserva le souvenir attendri de ce jeune homme, que l’empereur Alexis aimait comme son propre fils, et qu’elle-même avait adoré d’une passionnette d’enfant. Bien des années plus tard, en pensant à ce Constantin Doukas, « merveille de la nature, chef-d’œuvre formé par la main de Dieu, et qui semblait un rejeton de cet âge d’or que célèbrent les Grecs, » les larmes montaient aux yeux de la vieille princesse, et elle avait peine à contenir son émotion.

C’est dans ce milieu affectueux et tendre, où elle était choyée et chérie, que fut élevée la petite Anne Comnène. Peut-être, pour comprendre ce qu’elle fut, ne sera-t-il pas inutile d’examiner ce qu’était, en cette fin du XIe siècle, une éducation de princesse byzantine.

Rarement le goût des lettres, et surtout celui des lettres antiques, fut plus universellement répandu que dans la Byzance des Comnènes. C’est le temps où un Tzetzès, avec une érudition prodigieuse, commente les poèmes d’Hésiode et d’Homère ; où un Jean Halos, au grand scandale de l’Église orthodoxe, reprend, après Psellos, l’étude des doctrines de Platon, où les meilleurs écrivains de l’époque, tout pénétrés des modèles antiques, se piquent d’imiter dans leurs ouvrages les plus illustres auteurs de la Grèce ; où la langue même se raffine et s’efforce, par son purisme un peu maniéré, de reproduire la grâce sobre de l’atticisme. Dans une telle renaissance de la culture classique, une princesse impériale, surtout lorsqu’elle était, comme Anne Comnène, remarquablement intelligente, ne pouvait plus se contenter de l’éducation un peu sommaire qu’on donnait jadis aux femmes byzantines[1]. Elle eut les meilleurs maîtres et elle profita de leurs leçons. Elle apprit tout ce qu’on pouvait apprendre de son temps, la rhétorique et la philosophie, l’histoire et la littérature, la géographie et la mythologie, la médecine et les sciences. Elle lut les grands poètes de l’antiquité,

  1. Voyez sur ce point mes Figures byzantines, p. 114 et 293.