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que le cachot était éclairé d’une étrange lueur. Ainsi mourut ce jeune homme de trente-deux ans, sans enfans, sans œuvre, sans fortune, renié des siens, et qui n’avait rien su faire dans la vie que se dévouer. Quand les hommes entendirent raconter cette histoire, ils devinrent pensifs. On crut que Dieu avait voulu donnera son serviteur une récompense en ce monde. On raconta donc qu’on avait trouvé dans sa prison une tablette apportée par un ange. On y lisait que cet homme était un saint et que Dieu guérirait de la peste tous ceux qui l’invoqueraient en son nom.

Le culte de saint Roch, déjà répandu en France au XIVe siècle, devin européen au XVe. En 1414, les évêques réunis à Constance, pour faire cesser la peste qui désolait la ville, firent une procession en l’honneur de saint Roch. Dès lors, on le voit invoqué dans tous les pays. Il inspirait une telle confiance en Italie que les Vénitiens volèrent ses reliques à Montpellier. Ils bâtirent pour les recevoir la magnifique église San Roco, et cette fameuse Scuola que décora Tintoret[1].

Quant à la France, elle rendit à saint Roch un culte passionné. A partir du XVIe siècle, les grandes épidémies firent naître des confréries de Saint-Roch jusque dans les plus petits villages. Dans le seul Bourbonnais, on comptait cent quatorze paroisses qui honoraient saint Roch d’une dévotion particulière. Sa puissance s’étendait aux animaux. Le jour de sa fête, le 16 août, on bénissait des herbes, la menthe, le pouliot, la roquette, qui, mêlées à la nourriture du bétail, le préservaient des maladies contagieuses.

Ces quatre saints, saint Sébastien, saint Adrien, saint Antoine et saint Roch étaient invoqués tour à tour au moment du danger. En 1420, la ville de Nevers offre à saint Antoine un cierge de cent livres. En 1455, c’est dans la chapelle de saint Sébastien, à la cathédrale, qu’elle fait brûler des torches. En 1497, la ville de Chalon-sur-Saône, qui depuis six ans souffre de la peste, décide, pour désarmer la colère de Dieu, de faire jouer le mystère de Saint-Sébastien. Abbeville représente, en 1458, le jeu de Monsieur saint Adrien, en 1493, la vie de Monsieur saint Roch. Souvent, à la suite de ces représentations, les spectateurs formaient des associations pieuses qui perpétuaient le culte des

  1. Les reliques de saint Roch furent volées en 1485. En 1856, Venise a rendu à Montpellier la moitié du corps de saint Roch. Cf. Histoire de Saint Roch, par l’abbé Recluz, Montpellier, 1858, in-8.