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maître du feu. Malheur au parjure qui l’avait trompé, à l’esprit fort qui avait osé douter de sa puissance : il était réduit en cendres. A Saint-Antoine de Viennois, on montrait les os calcinés de ceux qui l’avaient offensé. Au temps de la Réforme, il avait brûlé, disait-on, trois soldats qui avaient osé porter la main sur sa statue. On avait vu des flammes leur sortir par la bouche.

Saint Sébastien, saint Adrien, saint Antoine, ces trois saints très antiques, avaient acquis assez tard le privilège de défendre contre les maladies contagieuses. Mais voici le dernier né de ces puissans protecteurs et le plus grand de tous, saint Roch. Il vécut au XIVe siècle, au temps même où commencèrent les grandes épidémies. Celui-là fut un vrai saint, un saint comme on les aime en France, non pas un contemplateur, mais un homme d’action. Il naquit à Montpellier qui appartenait alors au roi de Majorque. Quand il eut l’âge d’homme, il entreprit un pèlerinage à Rome. Il s’acheminait par la vieille route de la Toscane, celle-là même que suivaient encore les diligences au commencement du XIXe siècle, quand à Acquapendente il rencontra la peste. Au lieu de s’enfuir, comme eût fait un autre, il s’arrêta, et soigna les malades. Lorsque le fléau eut diminué, il était sur le point de se mettre en route pour Rome, quand il apprit que la peste venait d’éclater à Césène. Il y alla tout droit. Puis, suivant l’épidémie à la trace, il se rendit à Rimini et enfin à Rome. La ville sainte était alors sublime de désolation. Veuve des papes, à moitié vide, silencieuse, ravagée par la maladie, elle n’était plus qu’un grand tombeau. Saint Roch y resta trois ans. Quand il repartit pour la France, la peste avait gagné l’Italie du Nord. Il vint l’y rejoindre. Il soignait les pestiférés de Plaisance, quand il fut lui-même atteint de la maladie qu’il bravait depuis quatre ans. Il alla se cacher dans un bois et attendit la mort avec tranquillité. La légende ici se mêle à l’histoire, légende touchante et où le moyen âge mit de son cœur. Dans ces tristes siècles où la réalité est si sombre, l’homme si dur, c’est l’animal qui a pitié. Une biche nourrit Geneviève de Brabant, un chien apporte tous les jours un pain à saint Roch. C’est ainsi qu’il put vivre, guérir et rentrer en France. A Montpellier, personne ne voulut reconnaître ce pèlerin décharné qui ressemblait à un mendiant. On le soupçonna d’être venu pour espionner, et on le jeta en prison. Il y resta cinq ans. Un matin le geôlier, le trouva mort, mais il vit avec étonnement