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viennent faire ici saint Apollinaire, saint Achillée, saint Fortunat, saint Ferréol, saint Julien ? Pour résoudre l’énigme, il faut savoir qu’Antoine de Balzac d’Entragues, en même temps qu’il était prieur d’Ambierle, fut évêque de Valence et de Die. C’est ce qu’il a voulu rappeler, et il l’a fait avec une rare modestie : au lieu de se faire représenter avec sa crosse et sa mitre, il s’est contenté de faire peindre dans les vitraux les saints les plus vénérés de son diocèse.

Une érudition attentive aurait donc souvent les moyens d’expliquer par de solides raisons ce qu’on attribue fort légèrement au caprice. Avouons cependant que notre érudition est souvent en défaut. Il y a de très intéressans problèmes qu’il faut laisser sans solution. Je me suis souvent demandé quelle piété raffinée avait choisi les saints et les saintes qui ornent la chapelle du château de Châteaudun. Cette chapelle, restaurée et toute blanche aujourd’hui, donne, par un heureux hasard, une impression de pureté virginale que ne démentent pas les statues rangées le long des parois. On reconnaît sainte Agnès, sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Apolline, sainte Elisabeth avec des fleurs dans son tablier, sainte Marie l’Égyptienne vêtue de ses longs cheveux, sainte Marthe, sainte Marguerite portée par son dragon, sainte Marie-Madeleine, la Vierge enfin plus belle que toutes les autres saintes. Quant aux saints il n’y en a que trois : les deux saints Jean et saint François d’Assise. Ce petit sanctuaire a donc été décoré avec un sentiment exquis : il y a là ce qu’il y a de plus innocent, de plus tendre ou de plus passionné dans le christianisme. On y respire un doux parfum de mysticité féminine. Qui a choisi ses statues ? Est-ce Dunois, le fondateur de la chapelle, qui se souvint avant de mourir[1] qu’il avait vu dans sa jeunesse une sainte aussi pure que toutes celles qui étaient là ? N’est-ce pas plutôt sa femme, Marie d’Harcourt, qui aima sa petite chapelle au point de vouloir qu’on y enterrât son cœur ? Je l’ignore, et je ne vois pas que les érudits en sachent davantage[2]. Ce mystère peut avoir son charme, mais la vérité, quelle qu’elle soit, vaudrait mieux.

  1. La chapelle, fondée par Dunois, date de 1464. Dunois est mort en 1468. Il paraît évident que les deux saint Jean sont là pour rappeler son prénom (Jean, bâtard d’Orléans). La statue de Dunois qu’on voit dans la chapelle était à l’origine sur un pignon du château.
  2. Coudray, Hist. du château de Châteaudun, Paris (2e édit.), 1875, in-18.