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encore méritent d’être retenus, qui ne sont point sans quelque lustre : c’est le lieutenant de police comte d’Argenson, dont l’effrayante laideur aurait dû garantir l’austérité, mais dont il était si précieux pour une nonne défroquée et une louche trafiquante de savoir bander les yeux ; c’est le duc de Richelieu, qui ne pouvait voir une jolie femme sans la vouloir pour lui, et qui, incapable de rester un amant fidèle, devint du moins un ami sûr ; c’est le contrôleur Law, que son frère avait converti, et dont elle « convertit » les billets en bon or français ; — lord Bolingbroke, qui ne craignait pas d’en faire sa « reine » à la barbe du Régent ; — le colonel Dillon, qui lui donna deux enfans sans parvenir à la fixer, puisque très vite il dut faire place au maréchal de Médavy ; c’est Astruc, son médecin,


Ce lascif empirique,
Qui se distille et s’alambique
Au profit du corps délicat
De la nonne, sœur du prélat ;


— c’est le bon Houdar de la Motte, qui, par principe, « aimait tant les femmes modernes ; » — Fontenelle, « le vieil amant, » qui « fut pris, dit-on, sur le fait, comme il nous assure dans quelques-uns de ses profonds ouvrages que les philosophes prennent la nature ; » — le chevalier Destouches, l’épicurien lettré et le si charmant ami de Fénelon, qui pensa un jour en faire sa femme, et n’en fit que la mère de d’Alembert ; — c’est le conseiller de La Frenaye, qui devait mettre une note tragique parmi toutes ces fructueuses idylles ; — le comte d’Argental, son neveu, qu’on soupçonnera plus tard d’une collaboration plus spirituelle ; — et, pour finir dans l’intimité familiale, c’est l’abbé de Tencin lui-même, « l’incestueux coquin, » à qui sa sœur ne savait rien refuser.

Sur cette liste fournie par des chroniqueurs peut-être trop généreux, quelques noms, il faut l’avouer, paraissent d’une vraisemblance médiocre ; et, par exemple, les soixante-dix ans du « gentil Fontenelle » peuvent inspirer quelques doutes. Ni Prior, ni d’Argenson, il est vrai, n’étaient de tout jeunes gens ; et Dubois n’était-il pas « déjà vieux et très usé, » quand Mme de Tencin le connut ? On voudrait croire aussi, malgré l’insistance et le nombre des accusateurs, que les amours du frère et de la sœur sont pure calomnie. On peut rétrospectivement le désirer,