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aimait toutes les belles qui voulaient bien le lui permettre. Elle le lui permit. Mais elle alla trop vite en affaires. Le Régent lui parlait d’amour, elle lui parlait de son frère, dont il n’avait cure. Il eut pour la renvoyer un mot brutal et cynique ; et Mme de Tencin tomba, ou retomba, — on ne sait exactement, — « du maître au valet. » Ce fut pour toute la famille une profitable chute.

D’abord prudente et discrète, sa liaison avec l’abbé Dubois ne tarda pas à trouver une sécurité officielle dans la fortune croissante du ministre. Elle devint alors, dit Saint-Simon, « maîtresse publique, » et le nouvel archevêque de Cambrai eut en cette ancienne religieuse une auxiliaire adroite et sans scrupule. Dans des Mémoires d’une véracité suspecte, elle apparaît comme la trop ingénieuse intendante des orgies nocturnes et renouvelées de l’antique, — Fêtes d’Adam, Fêtes des flagellans, — que Dubois aurait organisées à Saint-Cloud pour amollir les énergies ou énerver les résistances du Régent. Et cela n’est pas impossible. Des documens plus sûrs nous la montrent dans les milieux diplomatiques faisant de l’espionnage pour le compte du cardinal. Très liée avec l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, le chevalier Schaub, — on l’appelait en plaisantant « la femme de Schaub, » — elle pouvait connaître, par les indiscrétions de son ami, les dessous de la politique anglaise. Il est vrai, remarque l’agent prussien à qui j’emprunte ces renseignemens, que peut-être le chevalier Schaub se servait d’elle aussi pour espionner le cardinal. Nous savons donc mal ce que Mme de Tencin fit pour Dubois. Nous savons mieux ce que Dubois fit pour elle.

Elle était venue pauvre à Paris. Quelques années plus tard, — Dubois vivait encore, — elle avait amassé, sinon la très grosse fortune que lui prêtent les chansonniers de l’époque, du moins une aisance plus qu’honnête. Quand en 1719 il fallut, pour le bien de la chose publique, opérer la conversion du presbytérien Law, elle sut obtenir pour son frère ce lucratif honneur, car ce ne fut pas seulement une « opération ecclésiastique. » Deux mois et six jours après que l’auteur du « système » eut abjuré entre les mains de l’abbé, le 28 novembre 1719, Mme de Tencin, qui sentait revivre en elle quelque chose de son aïeul le banquier Guérin, ouvrait rue Quincampoix un comptoir d’agio. Nous avons encore l’acte constitutif de la société en commandite qu’elle parvint à réunir autour d’elle, et où elle avait fait entrer frère, sœur, cousin, amis et amant. C’est chez elle que la