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qui la relevait de ses vœux ; mais, comme il était « subreptice, » et rendu sur un faux exposé, il ne fut point « fulminé. » Ce qu’on ne lui donnait pas, Claudine de Tencin le prit ; et « la religieuse Tencin », devenue Mme de Tencin, aura dès lors une vie plus que laïque. Elle pensait avec Bolingbroke qu’il « eût été en vérité dommage de laisser rouiller d’aussi beaux talens que les siens. » Au reste, il était temps ; elle avait dépassé la trentaine ; c’était tard pour les débuts d’une femme, à l’époque de la Régence surtout. Mme de Tencin le sentit, et c’est ce qui donnera à son attaque cette ardeur fiévreuse et un peu indiscrète qui lui nuira parfois. Il s’en fallait qu’elle fût laide. On l’eût même proclamée très belle, s’il y avait eu sur son visage cette sérénité et ce repos qui sont comme la conscience de la beauté ; la sienne était plutôt, si l’on ose dire, une beauté active cl toujours en travail-de conquête. Le cou, flexible et long, avait des courbes insinuantes ; la bouche, assez grande, était mobile, expressive et fraîche ; les yeux, légèrement troubles, traduisaient avec vivacité l’impression du moment ; et, sur cette physionomie sans cesse renouvelée, on sentait passer, dit Marivaux, « l’âme la plus agile qui fut jamais. »


II

Le succès fut rapide et vif. En la voyant chez Mme de Ferriol, dont il était un habitué, le poète et ministre plénipotentiaire Matthew Prior avait oublié sa « fille aux cheveux châtains » pour devenir amoureux de la jolie provinciale. Le bruit de leurs galanteries avait passé la Manche ; et les petites amies parisiennes dont Bolingbroke absent cultivait le souvenir par de menus cadeaux que leur répartissait Prior, — vin des Canaries, eau de miel, eau des Barbades, — prétendaient que « Mathieu, naturellement fripon, leur volait la moitié de leur eau de miel au profit de sa religieuse défroquée. » Mme de Tencin faisait mieux. Elle se servait de Prior auprès de Bolingbroke et de Bolingbroke auprès du duc de Savoie, pour que son frère fût enfin établi dans son abbaye d’Abondance. Et Prior complaisant écrivait la lettre demandée, quoique « l’abbé après tout ne lui parût pas valoir la corde, » et l’abbé avait l’abbaye.

Bientôt introduite par Fontenelle au Palais-Royal, elle allait y trouver de plus puissantes amours. Elle savait que le Régent