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amis des académiciens, et de sa vie le plus divers des romans. Femme galante, et dont les gazettes jasèrent, elle parvint à conquérir pour sa maturité la considération, et pour sa vieillesse le respect ; petite aventurière de province, elle devint une des reines de Paris, et presque un parti dans l’État ; nonne défroquée, elle sut trouver des jésuites zélés, de saints évêques, des cardinaux graves pour l’accepter comme une « mère de l’Église, » jusqu’à un pape docte et pieux pour entretenir avec elle une amicale correspondance. Une Pompadour ou même une Geoffrin semblent plus à l’aise dans leur siècle et mieux en refléter l’esprit. Mais nulle femme alors n’a fait vibrer plus fortement, ni sur une plus large étendue, le clavier des passions et des idées contemporaines, que cette femme de lettres, qui fut aussi femme d’affaires, femme d’alcôve, de salon, d’antichambre, de concile et d’académie.


I

Elle naquit le 27 avril 1682, à Grenoble, où son père était conseiller au Parlement. La famille Guérin de Tencin avait à peine un siècle de noblesse derrière elle, et le trisaïeul du conseiller avait été colporteur. De père en fils, depuis plus de cent ans, ils étaient magistrats, et, à chaque génération, s’élevaient d’un degré. Fonctionnaires exacts et habiles, tous ces Guérin avaient le sens des affaires : ils savaient se marier honorablement et confortablement, arrondir leurs terres par le menu, et faire figure décente dans l’aristocratie provinciale. Le père de Claudine, Antoine de Tencin, avait épousé Louise de Bussevant, d’une très vieille famille du Viennois ; il achètera bientôt une charge de président à mortier, et ne la résignera en 1696 que pour aller à Chambéry comme premier président du Sénat de Savoie. Mais c’est de ses enfans que lui viendra le plus clair, sinon le meilleur, de son lustre.

Ils étaient cinq : François, l’aîné, qui reprit la charge paternelle ; Pierre, qui fut le cardinal ; Marie-Angélique, qui épousa Augustin de Ferriol, seigneur de Pont-de-Vesle ; Françoise, qui devint comtesse de Grolée, enfin Claudine. C’est aux deux cadets qu’était réservée la gloire. Comme ils étaient cadets, on les donna à l’Église. Claudine fut mise au monastère royal de Montfleury