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se remplir le ventre une bonne fois est pour eux la préoccupation première. Insouciance, imprévoyance, toute la vie de l’Hindou est dans ces deux mots. Il engagera trois, quatre récoltes de sa terre pour célébrer richement le mariage de son fils. Vienne la famine, il se trouvera démuni, endetté, bientôt perdu sans ressource. Qu’il survive à la catastrophe, qu’il remonte par grand hasard sur sa bête, vous le reverrez commettant les mêmes imprudences, engageant l’avenir, et cela jusqu’à ses derniers jours. Notre ami le Tandou Sandirapoullé est le portrait fidèle de l’Hindou de tous les temps.

Ces affamés chétifs et minables ne manquent pas de cœur à l’ouvrage. Ils travaillent courageusement, quand l’occasion se présente. Ceux que j’emploie à fouiller l’antique pagode de Krichnapouram, dans l’espoir précaire de me procurer des idoles, font des journées de onze heures pour vingt centimes environ, et je me conforme au tarif du pays. Ces pauvrets sont contens d’avoir de la besogne. Sous le soleil, sans un pouce d’ombre, ils creusent aussi activement que des fourmilions, s’enfoncent sous terre, remontent avec de grosses pierres sur la tête, ou bien, ils les guindent avec de mauvaises cordes et une traverse de bois. Les résultats ne sont pas à la hauteur de la tâche. Nous atteignons à dix mètres de profondeur sans avoir trouvé autre chose que des tessons de poteries communes. Le puits va toujours en obliquant. Il s’avance sous une roche et l’eau suinte ! Avec des cuvettes de tôle on ramène de la boue liquide, parfois un Pouléar en terre cuite, et encore quelques fragmens de statues, un bras de déesse, en diorite verdâtre, qui a gardé son poli. Et cela est d’une belle facture. La main gauche tient encore la fleur de lotus. Voici la droite d’un Civa, ouverte dans le geste qui rassure, avec le losage empreint dans la paume. C’est maintenant un fragment de mitre, quelques boulets de pierre. Mais ni un bronze, ni une monnaie, ni une arme. Tout a été déménagé minutieusement avant l’abandon final…


Genji, 21 septembre 1901.

… Les Brahmes du lieu ne savent rien, je ne saurais trop le répéter, sur cette antique pagode qui fut sans doute celle des brahmes voyageurs, indiquée sur les plans du XVIIIe siècle. Si c’est elle, à qui doit-on attribuer sa ruine ? Aux Français,