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l’Inde. L’Inde des Anglais n’est point l’Inde indienne. C’est une autre terre d’où le « natif » est exclu, en quelque sorte, une terre où l’on mène la vie mondaine, où l’on joue au golf, au polo, au lawn-tennis, où l’on change de toilette six fois par jour, pour assister à autant de repas. Une terre, pour tout dire, où je ne voudrais pas vivre plus d’une semaine par année.

La mission de Krichnapouram ne présente pas ces inconvéniens majeurs. Au milieu des maisons modestes qui l’entourent, paillottes des catéchumènes, chaumière du catéchiste, masure servant d’école, appentis décoré du nom glorieux de cuisiner étable sans bétail, puits sans eau, grenier qui contint du riz, elle dresse sa haute masse carrée dont l’étage se dédouble, en façade, par une vaste galerie à baies cintrées qui laissent passer à flots l’air et la lumière. C’est la meilleure partie du logis, le caravansérail du voyageur, l’hôpital où viennent se reposer les prêtres exténués des fatigues et des jeûnes dans les bourgades malsaines du Carnatic. Au rez-de-chaussée est installée la modeste chapelle. Dans cette église aux murs nus, le petit monde des convertis assiste aux offices, gardant jusque sous le toit de Dieu cette division des castes contre quoi n’a jamais prévalu la discipline romaine. La question des « rites malabares » est de celles qui ont le plus troublé la paix chrétienne depuis que les moines commencèrent d’évangéliser les Indes. Dans leur ignorance absolue des peuples qu’il s’agissait de gagner à la Foi, les prélats métropolitains abondèrent souvent en mauvais conseils, égarant les Papes qui multipliaient brefs et constitutions, comme s’il était facile aux ouvriers de la première heure de changer, en un tour de main, l’assiette morale des Hindous. Si aujourd’hui encore on prétendait obliger les chrétiens de caste à s’asseoir, à l’église, sur les mêmes bancs que les parias, les apostasies se compteraient par milliers. Cette observance des castes est si étroite que l’usage n’admet pas qu’un paria, un tchandala, se tienne sous le toit du Père. Mes hommes ont dû se plier à cette loi, ils vivent dans les communs, et je n’ai de rapports avec eux qu’au dehors.

Par une exception unique, ces moines trouvent des gens de caste, des soudras convertis, pour leur service domestique. Tous les autres Européens ne peuvent tenir leur maison qu’avec un personnel de parias ou de musulmans. Les Hindous de caste s’emploient comme scribes, comme intendans, mais jamais ils ne