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II

Par ses excès d’originalité, par sa manière intransigeante, M. Meredith déroute ses compatriotes autant que nous. Mais il les choque moins, parce qu’ils sont moins sensibles aux outrances de l’individualisme et que leur goût est moins exigeant. A peine franchie, d’ailleurs, cette première enceinte de défenses hérissées qui gardent la hautaine demeure du maître, ils auront bien vite la rassurante impression de se retrouver chez eux, dans le vieux home anglais où ils reconnaîtront leurs mœurs, leur esprit, leurs traditions et leur caractère.

L’individualisme anglais trouve peut-être sa première manifestation, la plus visible et la plus universelle, dans l’amour du home. L’individu veut être chez lui. Il lui faut une demeure où il soit son maître, organise sa vie privée, installe ses habitudes, se retranche, pour ainsi dire, et se fortifie. On a tout dit sur le home, sa signification, sa poésie. Il témoigne, à coup sûr, que ses habitans vivent par eux-mêmes plus que par autrui et n’éprouvent pas ce besoin, si fort chez certaines races, de se prodiguer et de se répandre. Le plus aventureux des héros de M. Meredith, Harry Richmond, après d’innombrables péripéties, aborde au foyer, où il s’installe avec la jeune fille qui l’emporte sur toutes les autres femmes rencontrées au cours de sa vie errante, la vraie jeune fille anglaise, Jeannette Ilehester. Voyez l’idéal de ce garçon qui a couru le monde :


Je souhaitais que mon père et moi fussions ensemble dans les mêmes termes que M. Temple et son fils, — et ses filles, puis-je ajouter. Leurs discours portaient la marque du bonheur ; ils ne se querellaient avec personne ; leur train de vie était d’accord avec leur condition. Je me trouvais dans un intérieur anglais, simple et bien ordonné ; le père en était le pilier, les jeunes filles en faisaient l’ornement, le fils en représentait l’espoir et se préparait à prendre la succession paternelle. J’enviais ceux qui possédaient ce foyer ; et je pensais à Jeannette, si bien organisée pour en créer un semblable, à condition que son compagnon ne fût pas un rêveur fantasque.


La résidence seigneuriale de la gentry et de la noblesse n’est qu’une extension du home. La vie des hautes classes, que nous représente à peu près exclusivement M. Meredith, se passe presque tout entière dans le manoir. Elle ne ressemble en rien à notre « vie de château. » Nous n’en avons guère l’analogue