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guettaient une occasion de pénétrer aux États-Unis : et l’on dénonçait une fois de plus la fourberie des « singes jaunes. » Sans doute le département d’État et l’ambassade du Japon à Washington continuaient à déclarer que l’accord était complet entre les deux gouvernemens. On annonçait une prochaine visite au Japon de M. Taft, secrétaire d’État à la Guerre. On fêtait aux États-Unis le général Kuroki. A Tokyo, on remettait au point les exagérations de la presse d’opposition. Des deux parts enfin, on s’en prenait aux journaux, non sans raison d’ailleurs, de l’excitation croissante. Cette excitation n’en existait pas moins, et son existence seule constituait un danger.

Ce danger parut soudain aggravé par une nouvelle inattendue, d’abord démentie, puis rectifiée et finalement confirmée, l’envoi dans le Pacifique de la flotte américaine de l’Atlantique composée de 16 cuirassés et de nombreux croiseurs cuirassés. C’est le 1er juillet que cette information, bien faite pour impressionner le public, fit dans la presse son apparition. On assurait que l’escadre de croiseurs cuirassés, à ce moment en croisière dans les eaux asiatiques, et composée du West Virginia, du Maryland, du Colorado et du Pensylvania, serait rappelée à bref délai à San Francisco où elle serait rejointe par le Tennessee et le Washington qui se trouvaient alors à Bordeaux. Puis les seize cuirassés de l’Atlantique, Connecticut, Louisiana, Maine, Missouri, Virginia, Georgia, New-Jersey, Alabama, Rhode-Island, Illinois, Kentucky, Kearsage, Ohio, Indiana, Minnesota, Vermont, partiraient, — à une date non encore déterminée, — de New York ou de Hampton-Road. Ils contourneraient l’Amérique du Sud en s’arrêtant dans les principaux ports, et ils iraient se concentrer sur la côte californienne avec les deux autres groupes. Le contre-amiral Evans aurait le commandement de cette énorme force navale. Si l’on considérait en elle-même cette « redistribution » des escadres de l’Union, on n’y pouvait opposer aucune objection. Les États-Unis ont une flotte. Deux océans baignent leurs côtes. Comment leur contester le droit d’employer cette flotte dans celui des deux océans qu’il leur convient de choisir ? La « redistribution » de la flotte anglaise, en 1904 et 1905, était, elle aussi, de nature à provoquer des inquiétudes dans certaines capitales. Mais des inquiétudes ne sont pas des argumens. Et le Japon ne pouvait pas plus invoquer de raisons valables contre la décision de l’amirauté américaine, que l’Allemagne n’avait pu en éle-