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prix fixé par celui-ci. Ce prix était équitable, si l’on considérait la valeur actuelle des manufactures. Il ne constituait pas en revanche une suffisante compensation à l’abandon d’une entreprise importante, et qui se croyait sûre du lendemain. D’autre part, les produits des manufactures créées au Japon par la Compagnie avaient une large vente en Chine, en Corée, au Japon même : l’expropriation empêcha l’exécution des ordres reçus, mettant ainsi la société dans une situation inférieure vis-à-vis du gouvernement japonais qui, pour un temps, ne trouvait point de concurrence en face de lui. Le préjudice fut grand pour l’industrie américaine.

Ce n’est pas le seul cas du reste où elle se soit plainte du Japon. Tout le monde connaît aux États-Unis les récriminations provoquées par la mauvaise foi des planteurs de thé ou des fabricans de nattes japonaises[1]. De ces incidens naquit une naturelle défiance, qui se manifesta à diverses reprises. C’est ainsi, par exemple, que les industriels américains refusèrent de participer à l’Exposition d’Osaka dans la crainte que leurs produits ne fussent copiés et contrefaits par les fabricans nippons. C’est pour cette même raison qu’ils ont coutume d’interdire aux Japonais l’accès de leurs factoreries. On avait espéré à de certaines heures que les Japs seraient dans tout l’Extrême-Orient les placiers des produits américains, qu’ils joueraient à leur profit, selon l’expression habituelle des marchés asiatiques, le rôle de comprador, c’est-à-dire de courtier. Mais on oubliait que les Japonais sont devenus et deviendront de plus en plus des concurrens pour les Américains et, d’une façon générale, pour tous les pays industriels. Cela est d’autant plus vrai que, depuis le fiasco de la concession du chemin de fer américain-chinois, la diplomatie américaine n’a su déployer dans le Céleste Empire qu’une médiocre activité et que, tandis qu’augmente à Pékin l’influence japonaise, l’influence américaine y paraît décliner.

La guerre russo-japonaise, qui, à son début, avait fourni aux sympathies nippo-américaines une occasion de s’affirmer, a eu pour effet final d’accuser entre les deux pays les antinomies d’intérêts. Depuis sa victoire, le Japon est la première force morale du Pacifique, comme il en est la première force matérielle. Le sentiment de cette supériorité a provoqué chez un

  1. Voyez Félix Martin, le Japon vrai. Fasquelle, éditeur.