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s’agit pas ici pour nous de questions de personnes ; il s’agit des choses elles-mêmes et, certes, il n’y en a pas de plus graves. M. Mézières a toujours été l’adversaire du service de deux ans, mais M. de Freycinet en est partisan. Il affirme aujourd’hui que ce service n’est possible qu’avec le maintien des 28 et des 13 jours. Sa voix se perd dans le désert. Voilà le fait.

Comment en serions-nous surpris ? Ne disions-nous pas, il y a quinze jours, qu’obéissant à une poussée instinctive contre laquelle elles étaient sans défense, les Chambres acceptaient d’abord toutes les conditions qu’on déclarait indispensables à la réduction du service militaire, puisqu’elles gardaient la réduction et en supprimaient les conditions ? Nous assistons une fois de plus à cet affligeant spectacle. Le gouvernement seul pourrait peut-être, sinon empêcher, au moins ralentir la désagrégation de notre armée ; mais il faudrait pour cela qu’il eût une opinion forte et du caractère, et il en est aujourd’hui absolument dépourvu. On l’a entendu à la Chambre déclarer, bien mollement il est vrai, mais enfin déclarer que le maintien des périodes importait à la défense nationale. Battu au Palais-Bourbon, il avait une ligne de retraite du côté du Luxembourg, et il aurait pu, ou plutôt il aurait dû y faire une défense honorable : il a préféré capituler. Soyons justes : que peut devenir un sénateur, c’est-à-dire un homme qui a derrière lui des électeurs désireux de voir faire à leurs fils, ou de faire eux-mêmes dans la réserve le minimum de service militaire, que peut-il devenir lorsque le gouvernement, représenté par le ministre de la Guerre, vient dire, avec l’autorité, sinon avec la compétence qui lui est propre, qu’il n’y a pas d’inconvénient à ce que le service soit encore réduit ? Le sénateur, à moins qu’il ne soit M. de Freycinet ou M. Mézières, est réduit au silence, S’il voulait parler, s’il voulait résister, l’électeur ne manquerait pas de lui dire : — Eh quoi ! vous êtes plus militaire que le ministre de la Guerre ; vous prétendez connaître mieux que lui les besoins de l’armée ; quelle infatuation, quelle obstination sont les vôtres ! — Que répondre à ce discours ? Il ne servirait à rien de rappeler que le ministre a dit la veille le contraire de ce qu’il dit le lendemain : le suffrage universel n’entend et ne retient que ce qui lui plaît. Un sénateur est donc désarmé lorsqu’il n’est pas couvert par le ministre, et qu’il ne peut pas prétexter des hauts intérêts de la défense nationale, que celui-ci invoque et défend. La capitulation du gouvernement rend inévitable et fatale celle du Parlement. Si M. le général Picquart avait demandé avec énergie à la Commission du Sénat, et au Sénat lui-même, de maintenir