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Effusions de la sensibilité exaspérée et souffrante, analyse inquiète, description du paysage spiritualisé par la rêverie, c’est tout le romantisme des premières années du XIXe siècle.

Nodier à £es débuts se défend d’en vouloir à la société, et il proteste que sans elle l’individu n’est rien. Mais voici qu’à Laybach où il séjourne, toujours comme bibliothécaire, il entend parler d’un bandit hostile à notre domination. Les Brigands de Schiller lui remontent au cerveau et il s’empresse d’incarner dans Jean Sbogar (1818) le type du brigand sympathique. — L’année suivante (1819), voici avec Thérèse Aubert, qui meurt défigurée de la petite vérole dans les bras de son amant, la littérature de la maladie. — D’Illyrie encore Nodier rapporte Smarra, bizarre interprétation des bizarreries du cauchemar ; à Byron il emprunte Lord Ruthwen ou les Vampires (1820), à Maturin Bertram (1821) ; c’est, chez lui aussi, cette manie du fantastique lugubre et de l’absurdité terrifiante qui, pendant de longues années, a sévi en littérature, et à laquelle ont sacrifié aussi bien le Victor Hugo de Han d’Islande et le Balzac des premiers romans[1].

Toutefois avec cette famille d’écrivains capricieux à laquelle appartient Nodier, il faut se tenir sur ses gardes. Il est de ces hommes d’esprit qui ne se moquent de personne avec plus de plaisir que d’eux-mêmes. Certes il appartient au courant nouveau ; mais il conserve un peu de l’héritage du XVIIIe siècle. Il célèbre le romantisme, mais au besoin il le parodie. Un érudit archiviste, M. Georges Gazier a retrouvé à la Bibliothèque de Besançon le premier opuscule de Nodier : c’est une confession badine, dans le genre de Sterne. Quand le jouvenceau en arrive au chapitre de ses amours, il entre, parait-il, dans des détails devant lesquels l’éditeur se voile la face et le copiste laisse tomber sa plume. Cette veine de libertinage se continuera par le Dernier chapitre de mon roman, qui a toujours contristé les amis de Nodier, et qui, datant de la même année que le Peintre de Salzbourg, semble une dérision de son sentimentalisme. Et, un beau jour, il se mettra, ’ en devoir de mener campagne contre une littérature qui « exhume les morts pour épouvanter les vivans et tourmenter l’imagination de scènes terribles dont il faut demander les modèles aux rêves effrayans des malades. » C’est lui qui baptise ce faux romantisme d’un nom destiné à faire fortune : le genre frénétique. Mais qu’est-ce alors que Lord Ruthwen et que Bertram ? Et au cas où il n’y faudrait voir que d’assez lourdes plaisanteries, c’est donc

  1. Voyez un excellent chapitre dans Balzac, l’homme et l’œuvre, par André le Breton.