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inassouvie, solitude morale, agitation vaine et douloureuse, c’est toute la psychologie du romantisme.

Mais en voulez-vous maintenant voir les paysages ? Vous les trouveriez tous réunis dans un curieux morceau où Nodier exprime le désespoir de l’artiste à constater comment un seul coin de nature peut être modifié par toutes les influences des saisons, par tous les accidens de la lumière et souvent par ses impressions personnelles. De l’endroit où il a pris son point de vue, il se plaît à suivre tous les détails du tableau qui se déroule à ses pieds, la vallée qui se creuse entre les revers des forêts, les ruisseaux bordés de saules qui serpentent, se divisent et embrassent des îles de verdure, le pont sous lequel passe la rivière qui baigne un château en ruines et va se perdre dans les fonds bleuâtres de l’horizon. Il note les teintes douteuses, vagues et indéfinies du paysage à peine ébauché par les premiers rayons de l’aube ; il montre, à mesure que le jour s’élève, les montagnes qui naissent, les perspectives qui se reculent, les plans qui se détachent et se caractérisent ; il nous fait assister aux travaux qui peuplent les routes et les champs. « La lune enfin s’ouvre-t-elle un passage dans les espaces du ciel… c’est alors qu’on croit trouvera tous les objets des charmes inexplicables et des douceurs infinies. C’est alors que tous les bois ont des bruits religieux, des pompes et des secrets… Le son du cor, le tintement de la cloche lointaine… un rien vous trouble et vous pénètre ; il semble que cette nuit imposante jette quelque chose d’imposant sur toutes vos sensations. Que dis-je ? les inspirations superstitieuses et les rêveries crédules sont filles de la solitude et des ténèbres. Qui m’empêche de donner à ce château des habitans et des mystères… et d’évoquer sur ces tours les vieilles ombres de leurs anciens possesseurs ? » Ces lignes, qui traduisent si bien l’action réciproque de l’âme sur le paysage et du paysage sur l’état de l’âme, annoncent, plus de quinze ans à l’avance, le paysage lamartinien, — celui de l’Isolement :


Souvent sur la montagne à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds[1]


celui du Soir :


De ce hêtre au feuillage sombre
J’entends frissonner les rameaux ;
On dirait autour des tombeaux
Qu’on entend voltiger une ombre.
  1. « Souvent, quand la nature… sourit au soleil couchant, je m’assieds sur la pente d’un coteau, sous quelque chêne centenaire. » Le peintre de Salzbourg.