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pourrait de l’ensemble de cette œuvre tirer une morale, une philosophie, une poétique de la mélancolie. C’est elle qui nous rend meilleurs. « Les malheureux aiment mieux ; la mélancolie est plus tendre, plus confiante, plus communicative que le plaisir. » C’est elle qui nous initie à certains genres de poésie : « Les ruines de l’art sont imposantes, celles de la nature sont sublimes. C’est qu’il n’y a rien de plus légitime que le culte du malheur, rien de plus auguste qu’une glorieuse infortune, et qu’il n’est point de sentiment plus inné que cette vénération profonde qu’inspire l’idée de la grandeur alliée à l’idée de la destruction. » Mieux encore. Elle nous aide à deviner quelque chose de l’avenir. « Quelle est donc la nature de ce vague pressentiment qui fait apparaître autour de nous les malheurs de l’avenir et qui prévoit les arrêts de la destinée pour nous poursuivre d’une peine absente ? » Cette idée que la tristesse est comme une ombre, projetée par l’avenir sur le présent, est une de celles qui reviennent le plus souvent sous la plume de Nodier et qui lui ont dicté quelques-unes de ses pages les plus charmantes. Il écrira dans Thérèse Aubert : « Il est possible que la mélancolie ne soit pas dans les êtres sensibles l’effet du souvenir des peines passées. Pourquoi ne serait-elle pas quelquefois une disposition involontaire du cœur à essayer les peines qui le menacent et un avis de s’y préparer ? » On retrouverait dans Trilby, dans la Neuvaine de la Chandeleur, ailleurs encore, cette sorte d’interprétation mystique de la mélancolie.

C’est le même werthérisme, mais plus accentué, qui inspire le second roman de Nodier, daté de 1803. Il est bien curieux à relire entre René et Oberman, ce Peintre de Salzbourg, qui porte en sous-titre : « Journal des émotions d’un cœur souffrant, » et dont le frontispice représente une jeune femme qui dessine assise sur une tombe. C’est ici un roman d’analyse. Nodier a supposé un jeune homme véhément et passionné, plein d’ardeur, d’enthousiasme et d’amour, et c’est de l’étude de ses sensations journalières qu’il a tiré la matière de son livre. Il a voulu décrire des sensations et non pas entasser des événemens. Le héros de ce petit livre descend dans son cœur et il est effrayé de ce qu’il y découvre. Il a vingt-deux ans et déjà il est désabusé de toutes choses. Il a trouvé, lui le novice, le dernier mot de l’expérience dans la nature il n’y a qu’affliction et le cœur de l’homme n’est qu’amertume. Il voudrait répandre sur toute la création un immense amour et rien ne répond à ses vains appels. Irrésolu, incertain, il se précipite chaque jour au-devant de nouvelles chimères : il aspire à un changement quel qu’il puisse être. Inquiétude de l’âme