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S’ils n’ont traduit que des idées qui étaient dans l’air, du moins les ont-ils gardées de s’y évaporer ; s’ils n’ont fait que suivre les courans qui leur venaient de leur époque, du moins les ont-ils empêchés de se perdre, jusqu’à ce que vînt l’homme de génie qui devait se les approprier et les détourner à son profit.

Charles Nodier est de ceux-ci. On ne le lit plus guère ; à l’exception de quelques contes qui ne sont pas sans « dater, » on peut dire que toute son œuvre, abondante et variée pourtant, fiction et critique, prose et vers, est délaissée ; et il n’y a guère de chances que Jean Sbogar, Adèle ou Mademoiselle de Marsan retrouvent des lecteurs. Mais la critique reviendra à s’occuper de Nodier et de ses ouvrages ; elle y reviendra de plus en plus, à mesure que s’accentuera le mouvement d’études qui nous reporte aujourd’hui vers l’histoire du romantisme. Je dis l’histoire, et c’est à dessein. Car nous avons sur le romantisme des études profondes et des fantaisies brillantes ; mais on l’y considère toujours d’ensemble, dans ses tendances générales, dans ses grandes directions. On l’a trop peu envisagé au point de vue historique, ce qui est surprenant à l’époque où nous sommes, et ce qui, probablement, serait la seule manière d’en parler avec équité. Le mouvement s’est modifié en se prolongeant. A l’heure qu’il est, personne n’a encore tenté de dire avec un peu de précision où commence, où finit la période romantique de notre littérature, ni davantage quel y a été l’apport personnel de chacun de ses chefs. Nous aurions besoin d’un livre qui s’appellerait « les époques du romantisme. » Nodier serait une des figures les plus significatives pour l’époque qui va de 1800 à 1830, son œuvre étant la seule où nous puissions surprendre à peu près tous les courans qui ont alors traversé la littérature.

Le livre que M. Michel Salomon vient de consacrer à Charles Nodier et le groupe romantique[1] sera d’un grand secours aux futurs biographes de l’aimable écrivain. Car pour l’histoire de sa vie, le cas de Nodier est le même que celui de ses grands émules, depuis Rousseau et depuis Gœthe jusqu’à Chateaubriand, à Victor Hugo, à Lamartine. Ils ont été leurs propres biographes ; mais, en écrivant leur biographie, ils ne se sont pas refusé le plaisir de la romancer ; aujourd’hui,

  1. Michel Salomon, Charles Nodier et le groupe romantique, 1 vol. in-12 (Perrin.) — Georges Gazier, Un Manuscrit autobiographique inédit de Charles Nodier, plaquette in-8o (Dodivers, à Besançon). — Ch.-M. Desgranges, La Presse littéraire sous la Restauration, 1 vol. in-8o (Mercure de France). — Cf. Montégut, Nos morts contemporains (Hachette).