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— après Dickens, le romancier favori du public anglais[1]. Et certes il y a, chez l’auteur des Aventuriers, une aisance et une fécondité inventives, un mouvement continu, une habileté à créer des complications en apparence inextricables pour les résoudre, ensuite, presque sans trace d’effort, qui rappellent l’auteur des Trois Mousquetaires. Je croirais d’ailleurs volontiers que M. Watson, comme naguère Stevenson, a beaucoup pratiqué les cinq ou six bons romans d’Alexandre Dumas, n’étant pas gêné dans cette pratique, ainsi que l’est un lecteur français, par la pauvreté du style et l’absence, trop fréquente, de « tenue » littéraire. Mais c’est surtout par l’intermédiaire de Stevenson que le nouveau conteur anglais doit avoir tiré profit du talent de Dumas ; et c’est manifestement Stevenson qui lui a appris à revêtir de « littérature » ses imaginations les plus extravagantes. Car le charme particulier des récits de M. Watson, tout de même que celui de Saint- Yves, du Reflux, et du Prince Othon, leur vient de la subtile beauté de leur forme, ou, plus exactement, du contraste incessant de cette forme avec l’abandon romanesque des aventures qui nous sont contées. Que l’on se représente une histoire de brigands, toute semée de duels, d’enlèvemens, d’évasions dramatiques, et de plus d’exploits prodigieux et de coups de théâtre imprévus que n’en contiennent la Dame de Monsoreau ou Vingt ans après, mais qu’on se représente cette histoire traitée avec un souci scrupuleux du relief et de la consistance des caractères, de la couleur pittoresque des décors, de l’élégante précision des images et de la pureté expressive du style : on aura une idée des Aventuriers, qui sont l’un des premiers ouvrages de M. Watson, ou encore de ces Corsaires qu’il a publiés voici quelques semaines[2]. Bien plutôt qu’aux romans d’Alexandre Dumas, je les comparerais au Capitaine Fracasse de Théophile Gautier, le seul essai que je connaisse, en France,

  1. Non seulement une grande librairie anglaise a entrepris la publication des Œuvres complètes d’Alexandre Dumas : celui-ci tend même, de plus en plus, à devenir, en Angleterre, un auteur « classique. » Plusieurs de ses romans sont imprimés, à Londres, dans leur texte français, avec une introduction et des notes anglaises ; et il s’est trouvé un écrivain anglais pour offrir à ses compatriotes un gros livre illustré, tout rempli d’érudites recherches, sur le Paris d’Alexandre Dumas ! On avait essayé naguère d’acclimater, de la même façon, l’œuvre de Balzac ; et, chose curieuse, la tentative semble, pour celui-là, avoir beaucoup moins réussi en Angleterre qu’aux États-Unis.
  2. The Privateers, par H. Mariott Watson, 1 vol. illustré, Londres, librairie Methuen, 1907.