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des gestes rituels. Ainsi faisait le Prophète lui-même, et c’est cette fonction qu’il légua à Abou-Bekr ; ainsi font, après lui et comme lui, tous les imans de toutes les mosquées. Le mufti est un grand ordonnateur du culte et surtout un savant, un docteur de la loi. Le muderres est un professeur, interprète du Coran. Le hazzab a pour fonction de lire le texte sacré, et le muezzin est un héraut chargé d’appeler, du haut des minarets, le peuple à la prière et de proclamer aux quatre vents du ciel l’unité de Dieu et la mission du Prophète. Il n’y a point là, à proprement parler, de prêtres, encore moins un clergé organisé et hiérarchisé, intermédiaire nécessaire, pour la célébration du culte, entre Dieu et le croyant. L’Arabe qui pousse ses troupeaux sur les hauts plateaux, le Kabyle qui écorche du soc de son araire le maigre sol de ses montagnes, ignorent jusqu’au nom et jusqu’à l’existence du fonctionnaire payé par la France, décoré de la Légion d’honneur, que nous gratifions du nom de grand mufti. Il réserve sa vénération pour les saints locaux, les marabouts qui sont pour lui, pour ainsi dire, des excitateurs de prière, des hommes que leur vie édifiante rapproche d’Allah et illumine d’un reflet de la divine sagesse ; l’Arabe peut se passer de l’iman, mais il a besoin du marabout : vivant, il va le visiter, lui demander des conseils, des recettes, des remèdes ; mort, il vénère son tombeau et s’y rend en pèlerinage. Le marabout n’a aucun caractère sacerdotal ; il commence, en général, par être un homme hospitalier, généreux, qui accueille le voyageur et le pèlerin, l’exhorte à la prière, au jeûne. Quelquefois c’est un thaumaturge, un prestidigitateur ; l’Arabe, dont l’imagination ardente aime à créer du merveilleux, lui prête des tours de force et des miracles. Ainsi est-il advenu pour notre ancien adversaire Bou-Amama : il n’a ni voulu, ni prévu son rôle ; c’est la piété de ses fervens admirateurs qui le lui a imposé.

Un autre élément contribue, avec le maraboutisme, à vivifier la foi musulmane et à diriger son évolution : ce sont les confréries. Elles ne sont en rien comparables aux congrégations catholiques, elles se rapprocheraient plutôt d’institutions comme les tiers-ordres ; leurs affiliés sont répandus secrètement dans tous les pays de l’Islam, et leurs chefs, descendans ou successeurs du saint fondateur, tantôt vivent retirés au fond d’une zaouia, tantôt voyagent pour faire des ziara (visites qui rapportent