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marchant du même pas que leurs chevaux fourbus, jabotement des vieilles femmes au bord de la route, chuchotemens et doux rires sous les taillis de bouleaux et d’aulnettes, danses du samedi soir aux sons de l’accordéon : « Les talons et les pierres sonnaient, les pans des vestes flottaient, les tabliers voltigeaient, les tresses sifflaient, les jupes ondoyaient et la musique geignait… Sur la contrée reposait la nuit étincelante d’étoiles… Des parfums sortaient du trèfle en fleurs et de la pomme résineuse des pins… Un renard se joignit à la musique, un grand-duc ulula… Les danseurs ne remarquaient rien, n’entendaient rien… » À quoi rêvent les jeunes filles ? L’une, déjà fiancée, se propose de battre son mari à coups de pantoufle et de l’embrasser ensuite. L’autre, — comme elle ressemble peu à la petite vierge dalécarlienne ! — l’autre hésite entre l’amoureux pauvre et le vieillard cossu. « Je ne peux pas m’empêcher de penser à la belle maison où brillent les cuivres. Ce vieux ne me sort pas de la tête avec ses armoires bourrées, ses piles d’édredons, son argent, son linge, ses vaches, ses moutons, ses cochons, sa ferme… Ah ! je crois que je le prendrais, eût-il quinze enfans ! » et voici la fille trompée, la rôdeuse, la toile, le chasseur dont les noces se font tous les deux jours dans la forêt : il a vu mourir à l’automne sa dernière camarade de lit. « Plus j’étais dur pour elle, plus elle m’aimait… Elle s’affaissa sur le sentier… le sang lui sortait de la bouche… et là où son visage n’était pas teint de sang rouge, il était blanc comme de la chaux… » Oui, c’est bien la vie des campagnes vermlandaises, et, sous sa gaîté toujours un peu fantasque, des brutalités, des cris de passion, des larmes et du sang.

Puis la vie mystérieuse, la vie de rêve et d’apparitions. Les âmes du Vermland sont des âmes hantées et qui jouissent de l’être jusqu’aux délices de la terreur. En Dalécarlie on m’avait parlé de la Dame des Bois. Des gens de Floda l’avaient encore aperçue, toute verte, paissant d’énormes bêtes noires ; mais elle ne veut point qu’on ta regarde par derrière, car on verrait sa longue queue et son des en l’orme de pétrin. Lourdes imaginations ! Je l’aime mieux quand c’est Fröding qui la rencontre : « Elle était vêtue de verroterie ; et de clinquant comme un pasteur le jour de Pâques. Elle portait couronne de fougère et corsage d’or de chat, une jupe de sapin jusqu’aux genoux et le parfum des violettes de nuit. Elancée comme un jeune pin, souple et tenace comme un genévrier, elle se balançait et se tortillait comme un serpent