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et à la sonorité de ses échos. Il est froid ; mais le froid sans ténèbres ne fait point horreur ; et, les jours où le thermomètre ne descend pas au-dessous de vingt degrés, pourvu qu’aucun vent ne souffle, l’air glacial reste encore assez doux. J’ai vu, le 29 décembre, au sommet d’une colline, dans une ferme chalet, des gens, en bras de chemise, qui tiraient les épis engrangés de leur dernière moisson et qui les battaient sur l’aire.

On part au blême éclairage de la neige. L’aube ne se lève point du ciel : elle rampe le long des haies et lèche la lisière des bois d’une lueur de lanterne sourde. Vers neuf heures seulement, la vie s’étire et se dégourdit dans les fermes solitaires. Des chandelles pointent derrière les fenêtres dont le cadre blanc se distinguera bientôt des façades rouges. La neige sur les taillis a les mêmes tons mous et mats que la ouate aux arbres de Noël éteints. C’est un monde endormi, sans figure, presque décoloré, un monde fatigué du poids des songes, où les âmes doivent se réveiller paresseuses et crépusculaires. Mais, dès qu’au Sud-Est la ligne du soleil a surmonté la couronne des bois, le jeu fantastique commence. Il commence par une incroyable jeunesse d’azur où toutes les choses prennent de la transparence et de la légèreté. Les collines se détachent de l’horizon ; elles avancent avec de la lumière derrière elles, et, d’un bleu clair, ondulent comme des vagues frangées d’écume. La neige se colore de teintes aussi changeantes que les flots de la mer la plus nuancée. D’abord jaune pâle, puis rouge, le soleil, toujours oblique, est devenu bientôt d’un jaune de safran. Vers le milieu du jour, toute l’atmosphère est jaune ; mais, dans les sous-bois clairsemés, les fûts des pins s’enflamment d’un rouge de cuivre.

La splendeur de ces journées d’hiver n’est pas moins ensorcelante que la clarté polaire des nuits d’été. Elle porte l’hallucination et la poésie du surnaturel jusqu’au fond des âmes. Un long crépuscule lui succède où la nature se prépare à la fête de la nuit. Quand le ciel est profondément obscurci et que les étoiles n’apparaissent pas encore, une lumière mystérieuse monte de la terre. Rien ne scintille et tout luit. La vallée se lève. Le marécage s’étend, comme une mer de glace, sous une danse immobile de fantômes. Les taillis s’évaporent en tourbillons diaphanes. Toute la féerie Scandinave se joue sur les clairières. A quoi bon le clair de lune ? Une seule étoile fait la forêt étoilée. Une seule étoile au-dessus des sapins, et des milliers de