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Dieu merci, la Dalécarlie n’est pas seulement, pour les trois peintres de Leksand, une matière d’art. Ils ne parlent pas des paysans et des paysannes avec le détachement inhumain qui donne souvent à l’artiste un air de maquignon distingué. Ils chérissent en Suédois ce coin de la Dalécarlie, la somme de travail et de probité qu’il représente, ses hommes lourds et têtus, mais souvent prompts à la repartie, ses femmes qu’aucune besogne ne rebute, ses jeunes filles : une saine hardiesse aux joues roses. Il semble d’ailleurs que, si le Romantisme a ramené les artistes et les écrivains Scandinaves à l’exaltation de leur pays et de ses origines, le réalisme de ces dernières années a fait du paysan le sujet presque unique de leurs études et de leur enthousiasme. Le paysan, cette force sociale et politique de la Suède, de la Norvège et même du Danemark, en est devenu l’originalité poétique et pittoresque. Mais la tendresse, dont les poètes l’entourent, me fait soupçonner que la vie des campagnes, si riche en vieux usages, est menacée d’appauvrissement. Les hommes d’imagination sont surtout attirés par ce qui meurt ou ce qui va mourir. Je crains ces embaumeurs.

Sur dix fermes que nous apercevons, il n’y en a peut-être pas quatre où, sauf pendant la Noël, le père et la mère soient réunis. Dans l’une, l’homme travaille à Stockholm ; dans l’autre, il s’est embauché aux gages d’une Compagnie ; dans celle-ci, il est monté vers le Norrland ; dans celle-là, il est parti pour l’Amérique. Quand ils reviennent au pays, ils y apportent de nouvelles idées et souvent le dédain des anciennes coutumes. Les maisons paysannes ont perdu le solide bien-être qu’elles devaient aux travaux faits jadis autour du foyer. Les générations ne se transmettent plus ces œuvres résistantes où des mains, qui avaient une âme, exprimaient la symbolique de tout un peuple. Un certain nombre de Suédois et de Suédoises se sont pris d’un pieux amour pour les petits métiers des paysans, le bruit des navettes et le rondement des rouets. Il s’agit moins de rendre à l’existence des campagnes la beauté cossue qui lui venait de ces arts séculaires, que d’y créer une industrie dont elle puisse tirer quelque réconfort matériel et moral. Ankarkrona stimule le zèle des brodeuses et se fait lui-même commissionnaire en broderies. La propagande en faveur des gants tricotés dans les fermes et des ustensiles de bois et des frises de tapisserie a du moins ce résultat que les paysans gardent la conscience et l’orgueil de ce