Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie. Elles y éprouvent leur solidarité dans la misère et dans la joie, elles y entendent, une parole qui n’est pas celle de tous les jours et dont l’écho les raccompagne à leur foyer taciturne ; elles y jouissent, avec le sentiment d’être agréables à Dieu, du plaisir profane que nous achetons au concert.

Quand le pasteur eut fini son sermon, l’office succéda aux matines, un office de deux heures. Les fenêtres pâlissaient. Une lueur d’aube pure et comme filtrée par la neige se répandit sous les arcades. Les peaux de mouton émergèrent du crépuscule avec une douceur d’écume jaunissante. Les bonnets s’irisèrent ; les tabliers chatoyèrent. Ce fut, dans celle pauvre église dalécarlienne, la richesse de coloris d’un campement oriental. Un Orient bien lourd, débordant de santé rubiconde ! Mais les mains des fermières et des filles de ferme, posées sur leur mouchoir d’église, étaient aussi fines que des mains royales. Et dans les placides visages, où le jour naissant creusait des rides sombres, les yeux me parurent étonnamment pensifs…

Les gens sortirent, silencieux ; les jeunes d’abord, « car les vieux restent plus longtemps, » nous dit en passant une jeune fille dont le bonnet à fleurs avait les fleurs si petites qu’on l’eût prise pour une femme mariée. Une gravité heureuse, parfois même un sourire jovial, atténuait sur les figures les marques de l’insomnie. Le soleil ne se levait pas encore au-dessus de l’horizon ; cependant ou le sentait proche. Les montagnes lointaines étaient d’un azur un peu plus foncé que le ciel. Sauf au milieu des routes, où les traîneaux l’avaient réduite en cassonade, la neige luisait, et une vie de reflets bleus et mauves courait sous son grain immaculé. De partout montaient droits, légers, d’une blancheur teintée de jaune, presque immatériels, les magiques bouleaux du Nord ; et leur feuillage semblait translucide dans cet air qui n’était que fraîcheur et clarté.

Ce matin, second jour de Noël et office à onze heures. Il fait plus froid, mais le ciel vers le sud a de magnifiques tons d’orange. Le premier traîneau qui passe s’avance lentement, conduit par un homme à pied. Une femme en occupe le siège, les mains enfouies dans son tablier jaune, les regards fixes. Derrière elle, sur une jonchée de branches de sapin, repose un cercueil noir. Le mort précède les vivans de sa commune sous