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Il dépensa la sensualité de sa jeunesse dans un cosmopolitisme émerveillé. Jamais artiste ne fut plus détaché de son terroir. Il semblait n’en avoir gardé que la discrétion silencieuse dont il enveloppait ses amours. L’Italie, l’Espagne, la France s’offrirent tour à tour à son enthousiasme. Il fut le citoyen des cités resplendissantes ; et, comme il s’enchantait des formes, des couleurs, des idées étrangères, tout à coup le längtan le prit. Il revit sa carte d’écolier, sa vieille carte de Suède, avec la Scanie d’un jaune de moissons, le VermIand d’un gris de fer, la coupure sanglante de la Russie au nord de la Finlande, et les petites villes roses comme des airelles. « As-tu jamais pensé, toi, l’affiné, que tu tires ton origine d’un peuple de laboureurs et de forgerons ? Réfléchis à cela sur ton divan capitonné. Tu t’es habitué au geste du lazzarone, mais tu ne connais pas les mœurs du paysan de ton pays. Tu ne trouverais pas ton chemin parmi les pins et les sapins de ton pays. Tu n’aimes dans ton pays qu’un idéal imaginaire de liberté ; mais tu devrais aimer la forêt, la montagne et la vallée. » Ses mains, qui s’étaient si longtemps attardées sur le galbe des belles statues, éprouvaient maintenant l’impérieux désir de se presser autour de l’écorce rugueuse où se cache la vieille âme suédoise. Rome, Naples, Florence, toutes ces reines s’éteignirent : il revint à sa pauvre reine du Nord. Il en évoqua la gloire émaciée, « le temps de pain d’écorce et de famine couronné de lauriers. » Et plus maître de son art qu’il ne l’avait jamais été, presque aussi impeccable qu’un Heredia, il s’enferma dans la légende de la Suède qu’il aima comme un enfant et qu’il chanta comme un grand poète. Il a su capter le sentiment populaire dans une forme d’art savante et pure. On a dit que ses vers étaient de marbre ou de bronze : oui, mais comme les dieux béans des fontaines d’où jaillit l’eau des sources vives.

Pour lui, bien entendu, les Annales de la Suède ne commencent qu’au roi Gösta, et il en a dressé le portrait d’aïeul au seuil des Images Suédoises. « … De sa main, il a maçonné notre Suède des fondations à la toiture… Nous avons tous été assis à ses genoux autour de l’âtre flamboyant, quand il nous racontait son histoire merveilleuse… » Mais il se meurt dans son château du Mœlar, seul, incurablement triste d’avoir engendré des fous. Le hallebardier entend ses pas d’insomnie, pendant que les bénédictions des pauvres gens montent vers lui du fond de la nuit d’hiver.

Toute sa lignée tragique va défiler sous nos yeux. C’est d’abord