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plus longues et par les chemins plus silencieux, émigraient des forêts aux marchés. Mais ils gardaient comme eux l’odeur de l’ombre où ils avaient poussé, et ma fantaisie pouvait suspendre des lumières à leurs rameaux. Autour de moi, les âmes se repliaient sur des souvenirs communs. Le lien de la pensée chrétienne ne suffisait pas à nous unir. Plus religieuse dans les campagnes, plus familiale dans les villes, cette vieille fête du cœur de l’hiver réveille partout et surtout la conscience et l’amour du pays hérité.

Ce fut alors que je lus les Images suédoises de Snoilsky ; et l’atmosphère de recueillement qui m’entourait en élargissait la beauté. S’il n’est pas le plus grand des poètes modernes de la Suède, il en est avec Tegner, et près de nous, le plus national. D’autres se réclament de leur province : Snoilsky appartient au pays tout entier. Il en traverse l’histoire et vient à nous comme le courrier du comte Stenbock qu’il nous montre apportant au galop la nouvelle d’une victoire dans Stockholm encore assourdi des foudres de Pultawa : les mottes grasses de la Scanie l’ont éclaboussé ; les rocs du Smöland ont jeté des étincelles sous les sabots de son cheval ; et, quand on l’introduit au Palais, chaque pas qu’il fait laisse sur le parquet un peu de la terre de Suède. Pourtant, — et j’en crois ses concitoyens, — il n’est pas descendu jusqu’au tréfonds de leur intime nature. Il ne m’a pas découvert, comme plus tard Heidenstam, « les passages secrets sous la gaîté des Suédois. » Je n’ai pas senti courir dans son talent généreux et sain la veine brûlante de l’inquiétude. Il se tient en dehors de la mélancolie germanique ; et par la plastique de ses vers, par leur précision et leur clarté, c’est plutôt à nos maîtres du Parnasse que cet aristocrate érudit s’apparente.

Jeune, brillant, l’Italie avait exercé sur lui l’attrait irrésistible dont les pays de la lumière ont, de tout temps, fasciné les aventuriers du Nord. Il y a dans le rude esprit suédois une aspiration à l’insouciance et à la joie de vivre qui ne se satisfait qu’au soleil du Midi. La clémence du ciel méditerranéen en dénoue la fraîche et sombre fleur. Le comte Snoilsky respira, cueillit, vendangea l’Italie jusqu’à l’ivresse. « J’apporte des raisins, j’apporte des roses, je vous verse de mon jeune vin : sur tous les sentiers, sur toutes les routes, je bats du tambourin sonore. » Ainsi débutait le premier volume de ce Northman enguirlandé de pampres, et qui osait appeler son cœur : « Mon jeune lion ! »