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germé, dans l’unie du paysan, l’unité nationale de l’écroulement du Paradis des Ases, elle saute en croupe sur le cheval du premier des Wasa. Aux héros des temps mythologiques succèdent des personnages de tragédie moderne à peine moins mystérieux que les guerriers du Walhalla. La Bible a remplacé pour eux ces runes que leur ancêtre Odin apprit en gémissant. Pendant près de trois cents ans, la dynastie des Wasa communique à ce grand corps suédois l’agitation de son âme et les soubresauts de ses rêves. Depuis le vieux roi Gösta, qui plante la couronne sur sa tête de paysan dalécarlien, jusqu’au pauvre dément Gustave IV qui se la laisse arracher avec des cris convulsifs, c’est un défilé ininterrompu de figures dramatiques que la légende n’a cessé de disputer à l’histoire. Rois austères, rois fous, rois mystiques et visionnaires, rois de théâtre et d’opéra, ils n’ont de commun dans leur diversité que le secret de leur infatigable inquiétude. Ils ont voulu que la gloire morale de leur pays en fût proportionnée à l’immensité physique. Ce n’est pas uniquement dans l’Atlantica de Rudbeck que la Suède a pu se croire une coupe débordante d’humanité. Mais des artisans de ce miracle aucun ne fut vraiment un homme heureux. Quand ils ne tombent pas d’une balle ou d’un poignard au cœur, quand ils ne meurent pas au fond d’un cabanon, ils s’éteignent consumés de solitude intérieure et de mélancolie. La tristesse de leur lin achève de les grandir ; et les routes qui mènent à leur dernière pensée nous sont aussi fermées que les chemins du pôle. Quels excitateurs admirables de l’imagination !

Il y a dans la langue suédoise deux mots intraduisibles qui, comme tous les mots intraduisibles d’un pays, expriment le plus intime et le plus particulier de son âme : längtan et stämning. Le längtan, ce n’est pas seulement la langueur où nous plonge le souvenir d’un bien perdu, l’attente d’un bonheur qui tarde. Ce n’est pas seulement la nostalgie d’un cœur « qui meurt de ne pouvoir nommer ce qu’il adore. » C’est encore et surtout le désir qui nous porte à sortir de nous-mêmes et la volupté mélancolique d’en mesurer l’impuissance. « Längtan, s’écriera un des poètes les plus suédois, Längtan s’appelle mon héritage et mon château dans les vallées du soupir ! » Son héritage : ce legs de pudeur orgueilleuse et de silence que se sont transmis, dans cette nature taciturne et autour de ces rois énigmatiques, des générations d’enthousiastes fermés. Son château : sa pensée close,