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la duchesse répondait aussi de sa nièce et elle avait tort : ce n’était plus du tout la même chose.

Le 16 septembre, elle résume ses impressions sur Louis XIV et Monsieur : « — Le Roi est sans flatterie l’homme de son royaume le plus agréable et le plus honnête : sa manière de parler est charmante ; il n’oublie rien d’honnête et d’obligeant, jusqu’à se vouloir souvenir de la bataille de Trêves[1], pour faire valoir Ernest-Auguste et pour me plaire ; il y a bien réussi, car effectivement il me plaît beaucoup. Monsieur est fort beau aussi, son visage est plus long que celui du Roi ; c’est un des meilleurs princes du monde ; je lui ai mille obligations de toutes les bontés qu’il a eues pour moi. Je crois qu’il ne fera point de désordre dans l’État, comme a fait feu M. d’Orléans[2] ; le Roi est heureux d’avoir un frère comme lui. Mais je vous dis peut-être bien des choses que vous savez déjà. »

Le 28 septembre, la duchesse repart pour l’Allemagne. Avant même d’être arrivée à Osnabruck, elle aborde dans ses lettres les sujets ajournés. Le plus épineux était le dénuement où Charles-Louis laissait sa femme légitime, cette terrible Charlotte, mère de Madame et du prince héritier, que l’Electeur avait chassée parce qu’elle le faisait enrager. Il avait obtenu son éloignement en lui promettant une pension qu’il s’était bien gardé de lui payer[3], moitié avarice, moitié rancune, et la misère où elle était tombée devenait un scandale. Monsieur en avait parlé à la duchesse Sophie, d’où la lettre suivante : « — (En bateau en allant à Coblentz…, le 10 d’octobre 1679)… Monsieur m’a donné une vilaine commission : de vous parler pour Charlotte, qui se plaint que vous la laissez mourir de faim, ce qu’il dit être honteux pour vous et pour vos enfans. Je répliquai que la guerre avait ruiné votre pays, que vous aviez fort besoin de ce qui vous restait. Il dit que vous deviez au moins lui donner quelque chose, si vous ne lui pouviez pas donner tant que par le passé. Je disais que vous lui aviez donné des assignations ; dont il se mit à rire, mais il trouve la chose trop dure. Vous me ferez bien la grâce de me mettre un de vos impromptus par écrit que

  1. Il s’agit de la prise de Trêves sur le maréchal de Créqui, le 3 septembre 1675, par le duc de Lorraine. Le duc Ernest-Auguste, mari de la duchesse Sophie, venait de se détacher de la France et se trouvait parmi les assiégeans.
  2. Gaston, frère de Louis XIII.
  3. Il l’avait mal payée dès le début, puis plus du tout.